PARIS (Reuters) - Le procureur de la République de Paris, François Molins, a appelé vendredi à se "départir de toute naïveté" au sujet du retour en France des djihadistes de l'Etat islamique après la défaite militaire du groupe dans la zone irako-syrienne.
"Il ne faut pas confondre la désillusion et le repentir. On est face à des gens qui sont plus déçus que repentis", a-t-il déclaré sur franceinfo à propos des interviews récentes dans les médias de prisonniers français en Irak ou en Syrie.
Selon le procureur de Paris, quelque 690 Français se trouvent actuellement dans la zone, dont 295 femmes et 28 mineurs combattants de plus de 15 ans. Par ailleurs, les services de renseignement français estiment à environ 500 le nombre de mineurs de moins de 15 ans se trouvant sur place.
"Je pense que la majorité d'entre eux n'a pas forcément très envie de revenir en France compte tenu des poursuites judiciaires dont ils font l'objet", a indiqué François Molins, qui soutient la thèse de leur "dilution" dans la zone.
"Aujourd'hui, le sujet tel qu'il est du retour concerne essentiellement un certain nombre de femmes - le plus souvent de veuves avec des enfants", a-t-il poursuivi.
FORMÉS AU MANIEMENT DES ARMES
Au fil des défaites de l'EI, la question du retour des combattants étrangers dans leur pays d'origine a surgi, suscitant l'inquiétude des pays concernés, au premier rang desquels la France.
Une vingtaine de familles de femmes françaises parties rejoindre de l'EI à Rakka ont demandé fin octobre à Emmanuel Macron de faciliter leur rapatriement afin qu'elles soient jugées en France, et non en Syrie.
Le chef de l'Etat a déclaré mercredi soir que pour les femmes et les enfants qui rentreraient, ce serait "du cas par cas, en fonction des situations".
Vendredi, la ministre des Armées, Florence Parly, s'est défendue de vouloir "(trier) les djihadistes dans le combat que (la France) mène contre Daech".
"Là où il y a une différence à opérer, c'est entre les djihadistes et leurs familles et éventuellement lorsqu'il y a des enfants. Et c'est là que, en effet, le traitement intervient au cas par cas", a-t-elle précisé sur LCI.
Le procureur de Paris a qualifié cette approche de "pragmatique" et de "pleine de bon sens" mais a appelé les autorités à se "départir de toute naïveté".
"Il faut faire attention car on va avoir affaire à des mineurs ou à des femmes qui ont souvent été formés au maniement des armes", a dit François Molins.
"On sait dans le même temps qu'il y a des appels au djihad qui continuent et qui s'adressent aux femmes et aux mineurs en leur demandant de prendre une part active dans ce djihad."
Il a par ailleurs souligné que, dans ce dossier, la France n'était pas "un Etat seul" et que "ces gens ont été arrêtés dans des Etats souverains" qui ont toute latitude pour les juger.
Florence Parly a de son côté précisé que "les djihadistes qui (étaient) pris en charge par les armées locales, qu'il s'agisse des armées irakienne ou des armées qui interviennent en Syrie, relev(aient) de ces forces".
CELLULE D'UNE "AMPLEUR INÉDITE"
Emmanuel Macron a tablé jeudi sur une victoire militaire totale contre l'Etat islamique "dans les prochains mois".
Fin octobre, les Forces démocratiques syriennes (FDS), alliance de milices arabes et kurdes appuyées par les Occidentaux, ont repris la ville syrienne de Rakka, ex-capitale autoproclamée du califat en Syrie d'où plusieurs attentats commis sur le sol français avaient été organisés, dont ceux du 13 novembre 2015 à Paris et Saint-Denis.
Sur ce dossier, François Molins a dit espérer que "des témoignages de djihadistes arrêtés qui accepteraient de parler (...) viennent éclairer soit le rôle de certains (...) soit l'organisation de cette association terroriste".
Il a indiqué que les juges d'instruction en charge de l'enquête sur les attentats de Paris espéraient clôturer ce dossier "tentaculaire" au "printemps 2019".
"On a un dossier suffisamment avancé pour expliquer qui est allé en Syrie et expliquer les conditions de retour des djihadistes en Europe à l'été 2015, des éléments très précis sur tout le volet logistique, les connexions entre tous ces gens-là, les cellules, les planques", a détaillé François Molins.
(Cyril Camu, avec Elizabeth Pineau, édité par Yves Clarisse)