En nommant Bruno Le Maire et Gérald Darmanin à Bercy, Emmanuel Macron a confié les clés de l'économie à un tandem de droite, au risque de frictions avec les deux ministres, qui ne se sont pas privés de critiquer son programme pendant la campagne.
"A Bercy, tout le monde est surpris. On aurait élu Fillon président de la République, cela aurait été la même chose", confie une fonctionnaire. "Beaucoup sont tombés des nues", confirme un ex-responsable de cabinet, qui ironise: "ils sont en train d'ouvrir le livre de Bruno Le Maire pour voir ce qu'il pense".
Le nouveau ministre de l'Economie, candidat malheureux à la primaire de la droite, avait vertement critiqué ces derniers mois le chef de file d'En Marche!, qu'il accusait de dire "tout et son contraire".
"Il promet tout, finance tout, rembourse tout: les lunettes, les prothèses auditives et les soins dentaires! C'est Noël avant l'heure", avait pour sa part raillé le maire LR de Tourcoing Gérald Darmanin, tout nouveau ministre de l'Action et des Comptes publics, rattaché à Bercy.
Des critiques qui font planer le doute sur leur capacité de mettre en musique le programme économique d'Emmanuel Macron, d'autant que le projet du nouveau président diffère sensiblement des propositions formulées par M. Le Maire au cours de la primaire.
Le Maire et Darmanin "deviennent aujourd'hui des acteurs d'un projet qu'ils ont combattu il y a encore quelques jours", a grincé jeudi François Baroin, chef de file LR pour les législatives.
- Divergences -
Dans son programme, le député de l'Eure promettait de supprimer 500.000 postes de fonctionnaires, contre 120.000 pour M. Macron, et de réduire les dépenses publiques de 80 à 90 milliards d'euros, soit nettement plus que les 60 milliards promis par le chef de l'Etat.
M. Le Maire souhaitait en outre réduire de 7,5% à 6% la CSG. Il devra, s'il suit le programme du président, l'augmenter de 1,7 point, afin de financer la suppression des cotisations maladies et chômage payées par les salariés.
Bruno Le Maire souhaitait enfin un recul de l'âge légal de départ à la retraite à 65 ans, que refuse le chef de l'Etat, et la suppression de l'ISF, qu'Emmanuel Macron veut simplement réformer en le concentrant sur le seul patrimoine immobilier.
Entre les deux programmes, "il y a quand même des similitudes", nuance Emmanuel Jessua, économiste chez Coe-Rexecode, qui cite pêle-mêle "l'engagement sur la stabilité fiscale", une "rationalisation de la fiscalité du capital" ou encore "la défiscalisation des heures supplémentaires".
Bruno Le Maire rejoint également M. Macron sur sa volonté de refondre le droit du travail, de reporter la réforme du prélèvement à la source, et de ramener le déficit public sous la barre des 3% exigée par les traités européens.
- 'Souplesse' -
"On pourra toujours trouver des nuances, des points de différences, c'est vrai". Mais "sur le cap, sur les grandes orientations, nous n'avons pas de divergences avec Emmanuel Macron", a assuré jeudi soir M. Le Maire, en marge d'une visite d'entreprise dans l'Essonne.
"Je ne me serais pas engagé aux côté du président de la République, sur une fonction aussi lourde que le ministère de l'Economie, si nous n'étions pas d'accords sur les grandes orientations", a ajouté le ministre, assurant qu'il ferait preuve de "discipline".
Interrogé sur France Inter, le Premier ministre, Edouard Philippe, a lui aussi écarté tout risque de friction. C'est autour d'Emmanuel Macron "et de son projet que les Français se sont rassemblés", a-t-il déclaré, n'excluant pas malgré tout "une forme de souplesse, d'intelligence et de discussion" dans la mise en oeuvre du projet.
"Vu l'équilibre politique trouvé dans le gouvernement, il est difficile de penser qu'il n'y aura pas de répercussion sur le programme présidentiel, et notamment sur les points les plus cruciaux", estime cependant M. Jessua, jugeant notamment "vraisemblable un ajustement sur les dépenses publiques".
"Il y a une question de cohérence avec l'ambition européenne de la présidence Macron", qui souhaite "repasser rapidement sous les 3% de déficit", ajoute l'économiste, sceptique sur la capacité de la France de tenir cet engagement.