par Francesco Guarascio et Lily Cusack
BRUXELLES/PARIS (Reuters) - L'Union européenne a l'intention d'adopter en décembre une liste noire des paradis fiscaux, a annoncé mardi le ministre estonien des Finances, après une proposition en ce sens de son homologue français, à la suite de la publication des "Paradise Papers".
"Notre intention est d'approuver une liste en décembre", a déclaré Toomas Toniste, dont le pays assure la présidence tournante de l'UE, à l'issue d'une réunion de l'Ecofin à Bruxelles.
Avant la réunion, Bruno Le Maire avait demandé l'établissement d'une liste noire "crédible" des paradis fiscaux à travers le monde.
Pour le ministre français, qui a relayé ses propositions sur Twitter, il faut "exiger la transparence des intermédiaires et conseillers fiscaux sur leurs montages et leurs bénéficiaires".
Il est également nécessaire de "mettre en place avant la fin 2017 une liste européenne des Etats non coopératifs en fixant un délai maximal de huit semaines aux Etats concernés pour fournir les informations nécessaires".
Bruno Le Maire propose que soit prévu "un régime de sanctions en refusant aux Etats figurant sur la liste européenne tout accès aux programmes européens ou aux financements FMI et banque mondiale".
"L'évasion fiscale n'est pas seulement une perte de recettes fiscales pour l'Etat, c'est une attaque contre la démocratie", a-t-il ajouté.
A Paris, le porte-parole du gouvernement français, Christophe Castaner, a souligné que toute infraction aux règles fiscales constatée dans les "Paradise Papers" sera immédiatement poursuivie.
"C'est un sujet évidemment de préoccupation", a-t-il dit lors du compte rendu du conseil des ministres, soulignant que le ministre des Comptes publics, Gérald Darmanin, suivait le dossier avec attention.
"Il faut faire la différence entre les optimisations fiscales qui ont une base légale (...) et les infractions. S'il y avait des infractions, évidemment elles seront toutes immédiatement poursuivies", a ajouté Christophe Castaner.
LE COUP DE FOUET DES "PARADISE PAPERS"
A Bruxelles, le ministre luxembourgeois des Finances, Pierre Gramegna, a déclaré pour sa part que dresser une liste noire était "toujours un exercice difficile" et a souligné qu'une telle initiative nécessitait l'accord de tous les Etats membres de l'UE.
Mardi matin, le commissaire européen aux Affaires économiques et financières, Pierre Moscovici, a déclaré qu'une "cinquantaine de pays" étaient dans le viseur de l'UE en vue de l'établissement de cette liste noire des paradis fiscaux.
Les ministres des Finances de l'UE se sont retrouvés ce mardi à Bruxelles pour discuter du projet, à l'étude depuis des mois, alors que de nouvelles révélations, les "Paradise Papers", jettent une lumière crue sur le monde opaque des investissements dans les paradis fiscaux.
Les "Paradise Papers", "c'est à la fois une bonne et une mauvaise nouvelle", a estimé Pierre Moscovici sur France Inter.
"C'est une mauvaise nouvelle parce que ça montre qu'il y a encore des comportements de particuliers aisés ou d'entreprises qui sont prêts à tout pour ne pas payer d'impôts. C'est aussi une bonne nouvelle parce que ça pousse l'opinion publique à se mobiliser et les décideurs publics à aller encore plus vite", a-t-il expliqué.
Pierre Moscovici souhaite l'adoption de la liste noire d'ici à la fin de l'année. Pour vaincre les réticences de pays membres de l'UE comme le Luxembourg, Malte et l'Irlande, qui développent une politique fiscale attractive, elle ne porterait que sur des pays hors Union européenne.
LISTE "CRÉDIBLE"
"Nous sommes en train de 'screener', d'examiner la situation d'une cinquantaine de pays. Il n'y en aura pas 50 à la fin, mais je souhaite que la liste soit extrêmement crédible", a précisé le commissaire européen.
"Je demande que cette liste noire soit crédible - une autre institution que nous, qui s'appelle l'OCDE, a sorti une liste avec un seul paradis fiscal, Trinité-et-Tobago, ce n'est pas sérieux, il faut qu'il y en ait plus."
Les "Paradise Papers" sont une masse de documents sur des opérations financières émanant du cabinet d'avocats Appleby et obtenus par le Süddeutsche Zeitung. Le journal allemand a ensuite partagé ces documents avec le Consortium international des journalistes d'investigation (ICIJ) et d'autres médias.
L'ICIJ avait déjà publié l'an dernier les "Panama Papers", des documents du cabinet d'avocats panaméen Mossack Fonseca qui éclairaient le monde opaque des investissements dans les paradis fiscaux.
Les pays européens cherchent depuis des mois à se mettre d'accord sur l'élaboration d'une liste noire des paradis fiscaux et l'affaire des "Paradise Papers" les pousse à accélérer leurs travaux.
(Avec Philip Blenkinsop; Jean-Baptiste Vey, Marine Pennetier, Sophie Louet, Guy Kerivel et Jean-Philippe Lefief pour le service français)