par Estelle Shirbon et Philip Blenkinsop
LONDRES/BRUXELLES (Reuters) - Si souveraineté, croissance, immigration et influence du Royaume-Uni sur la scène internationale ont occupé l'essentiel du débat politique britannique sur le référendum de jeudi, ils n'ont pas occulté les inquiétudes bien vivaces de beaucoup de Britanniques vis-à-vis des réglementations européennes qui, jugent-ils, imprègnent leur vie quotidienne jusqu'à l'excès.
"Il arrive que ces règles européennes soient tout simplement ridicules, comme celle qui interdit de recycler un sachet de thé ou celle qui empêche les enfants de moins de huit ans de gonfler des ballons", a écrit l'ancien maire de Londres, Boris Johnson, dans une tribune où il expliquait pourquoi il mènerait campagne pour le "Brexit".
Ancien journaliste en poste à Bruxelles, Boris Johnson a rarement manqué une occasion de vilipender la capitale européenne et les réglementations qui en émanent, évoquant par exemple "les vives tensions internationales sur la dimension du préservatif européen" ou un projet visant à interdire la production de "chips aux saveurs de crevettes-coktail".
Du côté de la Commission européenne, on s'efforce de convaincre les Britanniques que les exemples souvent loufoques brandis par les partisans du Brexit sont dans le meilleur des cas des demi-vérités.
L'exécutif européen a créé un site internet recensant ce qu'il a qualifié "d'euromythes" pour les déconstruire.
Il dresse une liste de 650 anecdotes sur les ingérences supposées de l'Union européenne dans des secteurs allant des abattoirs aux zoos, en passant par les perruques que portent certains juristes, le célèbre petit déjeuner anglais, les vide-grenier ou encore les panonceaux tenus par les agents de la circulation chargés de faire traverser les écoliers, les "lollipop ladies".
Si ces exemples peuvent prêter à sourire, ils sont pris très au sérieux par les Britanniques et se sont invités jusque sur les plateaux de télévision où Boris Johnson dû s'expliquer sur les mythes qu'il propage.
Andrew Tyrie, personnalité du Parti conservateur dont est également issu l'ancien maire de Londres, l'a ainsi accusé "d'exagérer les choses jusqu'à leur faire perdre toute vraisemblance", rappelant qu'il n'y avait aucune législation entourant le gonflage des ballons par les enfants ou sur le recyclage des sachets de thé.
Mais Boris Johnson n'a pas rendu les armes pour autant, citant une réglementation européenne entourant les sous-produits animaux qui expliquerait l'interdiction de recycler les sachets de thé édictée à Cardiff où l'on craint qu'ils entrent en contact avec du lait.
CALIBRE DE LA POMME DE TERRE
S'attaquer à l'Union européenne en utilisant l'angle des réglementations farfelues est devenu une des armes des partisans du Brexit tandis que le camp du "Remain" s'efforce de placer le débat sur la plan économique, brandissant le spectre de la récession.
"Je suis née en 1960, j'ai donc grandi dans les années 1960 et 1970. Avant, il n'y avait rien de tout cela", explique Jackie Penney, électrice encore indécise d'Ashford, dans le sud-est de l'Angleterre.
"Comme les Français, ils passent leur temps à nous parler du calibre de nos pommes de terre. Elles doivent avoir la bonne forme. A-t-on vraiment besoin qu'un autre pays vienne nous le dire ?", s'interroge-t-elle.
A Hastings, où se tenait un débat sur le référendum, des participants ont évoqué la limitation de la puissance des aspirateurs, trouvant là un motif de divorce avec le continent.
Ces peurs sont alimentées par une partie de la presse qui ne cache pas son hostilité à l'encontre de l'Union européenne et qui rapportait que l'introduction de ce genre de réglementation provoquerait une ruée dans les magasins d'électroménager où des consommateurs affolés se précipiteraient sur des aspirateurs puissants avant qu'ils ne soient interdits.
La Commission européenne a beau tenter de réfuter ces accusations, les légendes perdurent.
"J'ai entendu dire que les gants de cuisine traditionnels allaient être interdits. Il faudra qu'ils résistent à une certaine température. C'est tout simplement ridicule", déclare Gaye Corcoran, une retraitée londonienne qui se prépare à voter en faveur du Brexit.
Interrogée sur ces angoisses, une porte-parole de la Commission explique que "de nombreuses règles du marché unique paraissent dérisoires mais sont nécessaires pour protéger le consommateurs. Cela implique notamment que, lorsque les Britanniques et les consommateurs européens achètent des gants pour le four, ces derniers puissent être utilisés dans les fours".
COURBURE DE LA BANANE
Un sondage réalisé auprès d'un millier de Britanniques par l'institut Ipsos MORI montre qu'un quart des personnes interrogées sont persuadées que l'Union européenne a interdit l'importation de bananes courbées.
Certes, l'Union européenne a légiféré sur les bananes, classées selon leur qualité, leur taille afin de faciliter le commerce international, mais le fait que cette législation interdise d'importer "des bananes malformées ou présentant des courbures anormales ne signifie pas qu'il soit interdit d'importer des bananes courbées", souligne-t-on à la Commission.
Le sondage montre également que 15% des Britanniques sont persuadés qu'au moins un "euromythe" sur cinq est vrai. Parmi ces légendes, une interdirait aux serveuses de porter des décolletés et une autre obligerait de désigner les saucisses anglaises par l'appellation d'"abats cylindriques à haute teneur en graisses".
Bruxelles cherche de son côté à répondre aux accusations tout en veillant à ne pas prendre parti.
"Nous ne faisons pas campagne, mais nous répondons sur les faits", a dit un porte-parole de la Commission.
Avec la multiplication des articles accusant l'Union européenne de tous les maux, qu'il s'agisse d'une prétendue interdiction de soigner certains malades atteints de cancer ou d'une volonté de ralentir le développement de la fibre optique, les services de communication redoublent d'énergie pour les réfuter.
"L'UE investit des milliards pour lutter contre le cancer, elle n'interdit pas les traitements", explique-t-on sur le blog de la Commission consacré aux "euromythes".
Malgré ces efforts, la déconstruction de ces mythes se heurte à une difficulté majeure, celle de la diffusion de l'information qui ne parvient qu'à une partie seulement de ceux qui y croient.
L'UE indique ainsi que son article sur le traitement du cancer a été vu 156 fois contre 130 fois pour celui qui évoque la fibre optique. Celui qui est consacré aux aspirateurs a été consulté à 6.300 reprises, des niveaux bien en deçà de la diffusion des titres des presse ostensiblement eurosceptiques.
A titre d'exemple, le Sun est tiré chaque jour à 1,7 million d'exemplaires contre 1,5 million pour le Daily Mail et 419.000 pour le Daily Express.
(Avec William James à Ashford, Sarah Young et Costas Pitas à Hastings, Nicolas Delame pour le service français)