PARIS (Reuters) - Manuel Valls a pris lundi en mains la réforme contestée du marché du travail, dont la présentation est reportée de 15 jours, au 24 mars, pour tenter d'amadouer les partenaires sociaux et désarmer la rébellion d'une partie de la majorité.
Sans attendre la fin de rencontres déjà programmées par la ministre du Travail, Myriam El Khomri, il a annoncé qu'il recevrait lui-même les principales organisations syndicales et patronales la semaine prochaine, séparément, puis ensemble.
Une décision dont s'est immédiatement réjoui le secrétaire général de l'Unsa, Luc Bérille, informé par des journalistes de la déclaration du Premier ministre alors qu'il sortait d'un rendez-vous avec Myriam EL Khomri.
"On voit bien qu'il y a un problème politique général", a dit le dirigeant de ce syndicat très implanté dans la fonction publique. "On préfère avoir directement des gens en capacité de discuter avec nous et pas en attente d'un arbitrage."
Le gouvernement en majorité socialiste est aujourd'hui contraint de jouer à front renversé sur ce qui devrait être la dernière grande réforme du quinquennat de François Hollande.
Le projet de loi sur le Code du travail a été applaudi par la principale organisation patronale, le Medef, qui y voit une "rupture" salutaire, et un nombre croissant d'élus de droite se disent prêts à le voter s'il reste "en l'état".
Il est en revanche critiqué par l'ensemble des syndicats et une partie de la gauche, qui y voient des atteintes aux droits des salariés, ainsi que par une partie du patronat, qui le juge avant tout taillé au profit des grandes entreprises.
Il faut "lever les incompréhensions" et "corriger ce qui doit l'être", a déclaré Manuel Valls en marge d'une visite au Salon de l'agriculture, tout en promettant une "très grande détermination du gouvernement pour faire avancer ce texte".
PRESSION
Le Premier ministre, qui pilote en réalité en sous-main cette réforme depuis le début, s'efforce ainsi de désamorcer une pression qui n'a cessé de monter depuis que le texte est connu.
Les principaux syndicats, auxquels se sont jointes des organisations étudiantes et lycéennes, se retrouvent jeudi pour tenter de s'accorder sur une analyse commune du texte et décider d'éventuelles actions revendicatives.
Le syndicat étudiant Unef a déjà annoncé des "initiatives" pour le 9 mars, date initialement prévue pour l'examen du projet en conseil des ministres, et met en avant le précédent du Contrat première embauche (CPE), retiré par le gouvernement de Dominique de Villepin en 2006 sous la pression de la rue.
Une pétition lancée sur internet contre le projet de loi a recueilli à ce jour plus de 780.000 signatures, tandis que le Parti socialiste se déchire.
La maire PS de Lille, Martine Aubry, a ainsi brandi le spectre d'un "affaiblissement durable de la France", dans une tribune à charge contre le gouvernement, et envisage avec ses amis de quitter la direction du Parti socialiste.
La CGT et Force ouvrière (FO), qui réclament un retrait pur et simple du texte, ne voient dans le report de sa présentation qu'une manoeuvre destinée à gagner du temps.
"Si c'est un report de 15 jours, ça ne change rien", a ainsi déclaré à BFM TV le secrétaire général de FO, Jean-Claude Mailly. "Nous pensons à FO qu'il faut maintenir la pression."
Ce report répond en revanche au souhait des syndicats réformistes, dont la CFDT, de donner sa chance au dialogue.
Selon l'entourage de Manuel Valls, il doit permettre de déterminer "les lignes rouges" des partenaires sociaux et de formuler des "ouvertures", notamment sur la modulation du temps de travail pour les salariés en "forfait jour", qui permet des dépassements des 35 heures hebdomadaires.
LE MEDEF "EXTRÊMEMENT VIGILANT"
Si le plafonnement des indemnités pour licenciement abusif et la définition des motifs de licenciement économique seront conservés, "on peut faire bouger les curseurs" sans remettre en cause la cohérence du texte, assure-t-on de même source.
Ce sont là des points clefs que CFDT, CFTC, CFE-CGC et Unsa, qui ne souhaitent pas "jeter le bébé avec l'eau du bain", veulent voir évoluer, voire être mis de côté.
Or ces dispositions sont considérées par le Medef comme des piliers du projet de réforme du Code du travail, au même titre que le rôle prééminent donné aux accords d'entreprises.
L'organisation patronale s'efforce de ne pas jeter d'huile sur le feu, dans l'espoir de voir le gouvernement tenir bon sur un texte qu'elle s'emploie déjà à défendre à Bruxelles, à Berlin ou auprès de l'Organisation internationale du travail à Genève, ainsi qu'auprès des investisseurs internationaux.
"Si c'est un report pour expliquer, pourquoi pas", dit-on au Medef. "Si c'est juste un enterrement de première classe ou un moyen d'affaiblir le texte, ça ne nous ira pas. Le risque, c'est celui de la demi-mesure qui ne servira à rien."
"Nous allons rester extrêmement vigilant. Nous ne sommes fermés sur rien mais il faut rester cohérent", ajoute-t-on de même source. Et d'avertir qu'un recul gouvernemental "ruinerait de nouveau la crédibilité de la France à l'international."
Selon Manuel Valls, le texte pourra malgré tout être voté comme prévu en mai à l'Assemblée nationale, puis au Sénat, avec une adoption définitive au début de l'été.
(Jean-Baptiste Vey et Emmanuel Jarry, édité par Yves Clarisse)