par Daren Butler et Humeyra Pamuk
ISTANBUL (Reuters) - La police turque a interpellé dimanche 24 personnes lors de perquisitions dans les locaux de médias, notamment la chaîne de télévision Samanyolu et le journal Zaman, considérés comme proches du dignitaire musulman Fethullah Gülen, grand rival du président Recep Tayyip Erdogan.
Ces perquisitions marquent une escalade dans l'offensive menée par le président Erdogan contre Fethullah Gülen, un ancien allié qui vit aux Etats-Unis et avec lequel il est en conflit ouvert depuis plus d'un an.
Dans un communiqué, le procureur général d'Istanbul, Hadi Salihoglu, a annoncé que des mandats d'arrêt avaient été lancés contre 31 personnes accusées de vouloir mettre en place "un groupe terroriste", ainsi que de faux et de diffamation.
La chaîne de télévision TRT Haber rapporte que deux anciens chefs de la police ont été arrêtés. Le président de la chaîne Samanyolu et un producteur de télévision sont au nombre des personnes interpellées.
"On ne peut pas réduire la presse libre au silence!" a scandé la foule dans les locaux stambouliotes du journal Zaman, alors que son directeur, Ekrem Dumanli, s'adressait à elle avant que les policiers ne l'emmènent. Le personnel du journal, rassemblé sur les balcons de l'immeuble, l'a acclamé et applaudi.
"Ceux qui ont commis de crimes peuvent avoir peur, nous pas!", a lancé Dumanli avant d'être poussé dans une voiture de la police.
"C'est un spectacle honteux pour la Turquie", a déclaré à la presse le président du groupe de télé Samanyolu, Hidayet Karaca, lui aussi interpellé.
"C'est triste, mais au XXIe siècle, voilà le traitement qu'ils réservent à un groupe de médias qui compte des dizaines de chaînes de télévision et de radio, de médias internet et de magazines", a-t-il ajouté.
"COUP D'ÉTAT"
S'exprimant sur ces perquisitions, le chef de file du principal parti d'opposition, le CHP (Parti républicain du peuple, laïque), Kemal Kilicdaroglu, a dénoncé "un gouvernement putschiste". "Un coup d'Etat est en cours contre la démocratie", a-t-il dit.
Mais pour le ministre de la Santé Mehmet Muezzinoglu, "ceux qui se sont mal conduits doivent payer".
L'opération lancée dimanche était attendue depuis plusieurs jours, un compte Twitter particulièrement suivi, qui a averti par le passé de l'imminence d'autres coups de filet, ayant indiqué récemment que la police s'apprêtait à interpeller 400 personnes, dont 150 journalistes considérés comme des soutiens de Gülen.
Fethullah Gülen est exilé depuis 1999 aux Etats-Unis. Il a estimé cette année que la répression menée par Recep Tayyip Erdogan était "dix fois pire" que celle qu'a connue la Turquie après le putsch militaire de 1980.
Voici un an, des enquêtes pour corruption ont visé le premier cercle des collaborateurs d'Erdogan, alors Premier ministre. Pour ce dernier, ces enquêtes participaient d'un complot orchestré contre lui par une "structure parallèle" constituée de partisans de Gülen, nombreux dans la justice et la police.
L'enquête avait entraîné la démission de trois ministres et poussé Erdogan à procéder à une reprise en main de l'appareil d'Etat: des milliers de policiers et des centaines de juges et de procureurs ont été mutés.
Vendredi dernier, le président a promis de pourchasser "jusque dans leurs tanières" les partisans de Gülen, qu'il présente comme des "terroristes" et des "traîtres".
(Eric Faye et Guy Kerivel pour le service français)