PARIS (Reuters) - (Répétition pour précision au 4e paragraphe)
La Cour des comptes juge les régimes français de retraites complémentaires du secteur privé menacés par une accumulation de déficits susceptibles d'assécher leurs réserves à brève échéance si aucune mesure n'est prise pour y remédier.
Ces régimes gérés par les partenaires sociaux assurent aux retraités un complément de revenu qui peut représenter entre un quart et la moitié de leur pension globale, voire jusqu'aux deux tiers pour certains cadres supérieurs.
Dans un rapport à paraître jeudi et obtenu par Reuters, la Cour des comptes constate que la "soutenabilité" des régimes Arrco et Agirc est "compromise à terme désormais très rapproché".
Elle rappelle que l'Arrco, qui concerne la quasi-totalité des salariés du secteur privé, et l'Agirc, réservée aux cadres et assimilés, ont accumulé 60 milliards d'euros de réserves entre 1998 et 2008 grâce notamment à des mesures de redressement prises depuis 1993.
Mais la crise économique de 2008, une gestion trop coûteuse et l'impact des réformes du régime de base les ont replongés dans des déficits croissants : de 1,13 milliard d'euros en 2009 à 4,44 milliards en 2013 et près de 5,3 milliards en 2014.
Selon l'Agirc et de l'Arrco, ces déficits continueront à se creuser au moins jusqu'en 2035, malgré les mesures correctrices de 2013, quel que soit le scénario macroéconomique envisagé.
Dans la variante la moins optimiste, ils atteindraient 19,5 milliards d'euros en 2035. Les réserves de l'Arrco seraient épuisées en 2023 et celles de l'Agirc en 2018, avec l'équivalent de moins de trois mois d'allocations dès 2016.
Sans mesure de redressement, le déficit cumulé des deux régimes atteindrait alors 120 milliards d'euros en 2030 et près de 335 milliards en 2040.
RECULER L'GE DE LA RETRAITE
Mais les hypothèses macroéconomiques retenues ont paru encore trop optimistes à la Cour, qui a fait tester un scénario plus proche de la réalité constatée aujourd'hui, avec un taux de chômage durablement à 10% et une évolution de la productivité du travail limitée, à long terme, à 1,0%.
Dans ce scénario, le déficit cumulé de l'Agirc et de l'Arrco atteindrait 132 milliards en 2030 et 390 milliards en 2040.
Face à l'urgence et l'ampleur du défi, la Cour des comptes exhorte les partenaires sociaux, qui reprendront début 2015 des négociations sur l'avenir des régimes complémentaires, à prendre des mesures draconiennes dès l'an prochain.
Ils devraient ainsi, selon elle, se donner pour objectif un effort annuel de plus de cinq milliards d'euros à partir de 2018, ce qui permettrait de repousser l'épuisement des réserves de l'Agirc et de l'Arrco au-delà de 2030.
Cela suppose qu'ils "n'excluent dès maintenant aucun des leviers de redressement à leur disposition", ajoute-t-elle.
Les possibilités d'augmenter les cotisations étant limitées et toute action sur le niveau des pensions "très délicate", elle recommande donc de combiner ces leviers avec des mesures d'âge.
Consciente de la sensibilité du sujet, elle a cependant pris soin lundi de préciser dans un communiqué qu'elle ne préconisait pas une "solution unique" mais entendait seulement "éclairer la diversité et la portée des différentes mesures envisageables".
Elle évoque ainsi "à titre d'illustration" dans son rapport un recul de l'âge de départ à la retraite d'un ou deux ans, soit par un report des âges légaux, soit en jouant sur l'effet incitatif d'abattements spécifiques.
"EFFORT SPÉCIFIQUE" DES CADRES
Selon l'Agirc-Arrco, le recul de l'âge moyen de départ à la retraite de deux ans étalé sur quatre années, à partir de la génération 1956, permettrait de dégager une marge cumulée de 59 à 94 milliards d'euros en 2030 et de 98 à 170 milliards en 2040.
Dans l'hypothèse d'un recul d'une seule année, les marges de financement obtenues seraient moitié moindres.
La Cour juge par ailleurs indispensable une meilleure coordination entre l'Etat gestionnaire des régimes de retraite de base et les partenaires sociaux.
Elle les invite à réfléchir à une plus grande égalité de traitement entre cadres et non cadres, voire à une fusion de l'Agirc et de l'Arrco dans un proche avenir.
En attendant, les perspectives financières de l'Agirc étant beaucoup plus dégradées que celles de l'Arrco, elle recommande un renforcement de leur solidarité financière.
Mais, avertit la Cour des comptes : "Le versement des pensions (de l'Agirc) ne peut être assuré après 2017 sans qu'un effort spécifique ne soit demandé aux cadres."
Elle invite les partenaires sociaux à s'appuyer sur des scénarios économiques "plus prudents que par le passé" pour piloter les régimes de retraite complémentaire.
La Cour juge enfin "impératifs" des progrès dans la gestion de ces régimes, qui devraient, selon elle, se fixer pour objectif de réduire de 25% leurs coûts d'ici 2020.
(Emmanuel Jarry, édité par Yves Clarisse)