Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
Il aura suffi de trois séances de rebond (et de 2,5% repris tant pour le CAC40 que pour l’EuroStoxx50) pour que beaucoup d’investisseurs se disent que les planètes sont de nouveau alignées pour un soi-disant rally de Noël.
Elles le restent de facto pour Wall Street, alors que le S&P500 a signé vendredi une neuvième semaine de progression d’affilée. Le cycle vertueux inauguré le 3 octobre n’est donc pas terminé.
L’année 2018 a été une exception lorsque le marché boursier a plongé en décembre, la coupable ayant été la FED, trop soucieuse de se reconstituer des marges de manœuvre pour combattre une récession… qu’elle a néanmoins bien failli provoquer ex nihilo !
Elle a spectaculairement inversé la vapeur il y a presque un an jour pour jour (le 27 décembre 2018), provoquant alors l’un des plus spectaculaires rallys obligataires de la décennie (les T-Bonds gagneront jusqu’à +16% au début de l’automne).
A ce moment précis, les T-Bonds et les actions faisaient pratiquement jeu égal depuis le 1er janvier, mais on assista ensuite à un nouveau renversement de situation, avec des marchés obligataires qui ont commencé à corriger au profit apparemment exclusif des actions.
La thèse de la « rotation sectorielle » s’est néanmoins brisée sur le constat que si les T-Bonds corrigeaient, il n’y eut aucune véritable réallocation des liquidités en faveur de Wall Street ou des indices boursiers européens.
Par ailleurs, les maigres flux qui s’évaporent des T-Bonds s’investissent à 80 ou 85% dans des « ETF », ce qui laisse moins que des miettes à la gestion discrétionnaire (le « stock picking »).
Qu’à cela ne tienne : chacun convient aujourd’hui que la faible liquidité facilite la progression du marché. Plus largement, il semble que plus aucune âme ne vive sur le marché, seulement des algorithmes ventilant les rares flux acheteurs qui proviennent essentiellement des entreprises elles-mêmes, lesquelles complètent leurs programmes de « buybacks » dès que le marché a le malheur de recéder quelques fractions.
Au dernier pointage, les sociétés américaines ont franchi le cap des 820 Mds$ de rachats début décembre. En Europe, on dépasse les 230 Mds€, ce qui fait donc un total de plus de 1 000 Mds$ bien supérieur à toutes les gestions + family office + hedge funds de la planète !
Quant à la force relative (RSI) exprimée en données hebdomadaires, elle n’a jamais été aussi surachetée sur un graphique depuis fin janvier puis fin août 2018.
Au bout de neuf semaines de hausse consécutive, seule l’humeur des gérants ne cadre pas avec la définition d’une « bulle » car tous les indicateurs techniques sont en mode « dot.com ».
La surliquidité écrase la volatilité
Le moteur demeure donc la surliquidité orchestrée par les banques centrales, qui distribuent de l’argent gratuit en abondance en Europe et au Japon, ainsi que des cataractes de liquidités aux Etats-Unis (un peu plus chères mais qui coûtent moins de 1,8%, alors que la croissance américaine reste supérieure à 2%).
Cette surliquidité écrase la volatilité, devenue ultra-faible à l’exception d’un pic de stress de +50% les 2 et 3 décembre derniers resté au stade de l’épiphénomène, un nouvel effondrement non pas du « VIX », mais de la volatilité intraday étant ensuite survenu les 5 et 6 décembre.
Les indices américains ont été littéralement maintenus à l’arrêt, au frein à main, ce même vendredi au cours des cinq dernières heures de cotations. La fluctuation de Wall Street s’est alors retrouvée compressée au sein d’un étroit corridor de 0,1% d’épaisseur.
Compte tenu de la publication de plusieurs bonnes voire très bonnes statistiques dans ce laps de temps, on peut en déduire que l’absence totale de fluctuations résulte d’un programme de trading préétabli et exécuté avec une rigueur implacable.
En ce qui concerne le caractère incroyablement moutonnier du marché, il s’explique en grande partie par le fait que la gestion discrétionnaire est une fois de plus mise en échec cette année (tout comme en 2018, avec un scénario de marché pourtant très différent) et que plus les fonds sont à la traîne, plus les gérants surpondèrent les actions en surperformance annuelle pour tenter de rattraper leurs indices de référence.
Dans ces conditions, l’environnement conjoncturel devient pour ainsi dire quantité négligeable.
Ce qui n’empêche pas de se demander comment le Département américain du Travail peut avoir recensé 266 000 créations d’emplois le mois dernier (dont 254 000 dans le secteur privé) quand le cabinet ADP (PA:ADP) – dont c’est le cœur de métier- en a dénombré l’avant-veille presque 200 000 de moins (+63 000).
Cet écart statistique pour un même mois d’activité économique est proprement surréaliste. Il s’agit même de la plus phénoménale divergence jamais observée au XXIème siècle outre-Atlantique.
A propos de statistique phénoménale, on notera enfin que la capitalisation mondiale atteint 95% du PIB planétaire, pour la deuxième fois seulement depuis mai 2018.