Le retour de la Grèce sur les marchés financiers est une opération de communication politique réussie qui va renforcer la position de ceux qui, au sein de Syriza, militent pour une sortie du programme d’aide l’an prochain. Cette option n’est toutefois pas crédible au regard des besoins en financement du pays qui doivent atteindre près de 19 milliards d’euros en 2019, à moins d’accepter des taux d’emprunt élevés qui vont encore plus peser sur le niveau d’endettement du pays et contraindre le potentiel de croissance. Dans les faits, il y a trois options possibles pour le pays une fois que l’actuel plan d’aide prendra fin en août 2018 : un quatrième plan d’aide, un allongement de la maturité des prêts ou un effacement partiel de la dette nominale.
Un quatrième plan d’aide. Il s’agit de la solution la moins souhaitable car elle conduirait les créanciers européens à prêter de nouveau à la Grèce, sans régler le problème de fond que constitue l’accroissement de la dette publique (presque 180% du PIB de nos jours contre 146% en 2008), et nécessiterait que le gouvernement mette en œuvre d’autres mesures d’austérité qui n’ont pas eu jusqu’à présent d’effets économiques positifs avérés et qui aboutiraient à fragiliser le Premier ministre Alexis Tsipras.
Un allongement de la maturité des prêts. Il s’agit de la solution médiane qui, du point de vue politique, pourrait satisfaire tous les acteurs du dossier. Elle a déjà été mise en œuvre partiellement puisque le pays ne va commencer à payer les intérêts sur les prêts bilatéraux qu’à partir de 2020 mais cela ne concerne pas encore les prêts du FESF et du MES. En l’état actuel des choses, la Grèce rembourse des intérêts à ses créanciers européens qui sont supérieurs à ceux auxquels ils ont eux-mêmes empruntés. En allongeant la maturité des prêts, on peut ainsi permettre à la Grèce de retrouver un peu de marge de manœuvre sans que cela ne coûte rien aux Etats et aux citoyens européens tant que les intérêts à rembourser restent plus élevés que le coût de refinancement des créanciers.
Un effacement de la dette nominale. Il s’agit de la solution la plus radicale mais qui est économiquement la plus réaliste. On a tort de faire de l’effacement d’une partie de la dette grecque un cas particulier. Une restructuration de dette souveraine est un évènement plus fréquent qu’on ne le croit. De 1950 à 2010, il y a eu 186 échanges de dette négociés avec des institutions financières et des détenteurs d’obligations et 447 accords bilatéraux avec le Club de Paris. Dans le cas grec, cela nécessite de complètement reprendre le calcul de la soutenabilité de la dette qui avait été réalisé par le FMI en 2010 et qui prévoyait de ramener la dette de 175% à 120% du PIB en 2022 en dégageant un excédent budgétaire primaire d’au moins 3% par an. Il y a deux problèmes principaux avec cette analyse. Premièrement, plusieurs études empiriques récentes, notamment celle de Mendoza et Ostry (« International evidence on fiscal solvency : Is fiscal policy responsible? », Journal of Monetary Economics, vol. 55, 2008), démontrent que plus le niveau de dette en pourcentage du PIB est élevé, plus il sera difficile de générer un solde primaire qui sera suffisant pour revenir à la soutenabilité. Comme le montre l’exemple de la Grèce, un excédent budgétaire primaire même supérieur à 3% n’a pas permis de réduire la dette en pourcentage du PIB et a eu pour effet pervers de comprimer la croissance économique. Deuxièmement, cette analyse ne prend pas en compte de nombreux facteurs macroéconomiques qui ont pourtant une importance cruciale pour la trajectoire de la dette, comme l’inflation et la croissance.
La question n’est finalement pas de savoir s’il doit y avoir un effacement de la dette nominale mais plutôt de savoir si c’est juridiquement possible et de quelle ampleur il doit être.
Contrairement à ce qui est souvent évoqué, un effacement de la dette nominale ne constitue pas une violation de la clause de non-renflouement des Etats (article 125) contenue dans le traité de Lisbonne. Dans son arrêt de mars 2011 rendu dans l’affaire Pringle, la CJCE a clarifié la légalité de l’assistance financière entre Etats membres afin de préserver la stabilité de la zone euro dans son ensemble, donnant ainsi son feu vert au MES. Si juridiquement une restructuration des titres grecs détenus par les Etats européens n’est pas interdite ; en revanche, la question n’est pas encore tranchée en ce qui concerne les titres détenus par la BCE (pour un montant d’environ 27 milliards d’euros).
Il existe deux manières de calculer le niveau de décote nécessaire. La première méthode consiste à construire un modèle statique de solvabilité en se basant sur trois constantes : le taux d’intérêt nominal, le taux de croissance réel et l’excédent primaire projeté. L’inconvénient de cette approche sur le long terme est qu’elle ne prend pas en compte d’éventuelles circonstances exceptionnelles, le taux de change ou encore les risques pesant sur l’évolution des taux d’intérêt. Les résultats obtenus doivent donc plutôt servir comme point de repère dans le cadre d’un processus de restructuration. C’est pourquoi, depuis quelques années, une seconde méthode a été privilégiée, reposant sur le ciblage d’un seuil spécifique de dette en pourcentage du PIB. Dans le cas de la Grèce, on peut reprendre l’objectif du FMI de 120%, en différenciant la dette qui peut être restructurée de celle qui ne l’est pas. Le calcul est le suivant :
Niveau de décote effective = [Dette actuelle en % du PIB – Seuil ciblé de dette en % du PIB] / dette éligible en % du PIB
En se basant sur la participation des Etats européens et de la BCE, pour atteindre le ratio d’endettement de 120% du PIB, il faudrait appliquer une décote effective de 88% (180-120)/68=0,88. En cas de non-participation de la BCE, la décote effective serait de 100%, ce qui est peu probable.
Cet effacement de dette doit être conditionné à la mise en place de quelques réformes clés et s’appuyer sur le cadre international existant connu sous le nom d’Initiative pour les pays pauvres très endettés qui peut être aisément adapté au contexte européen. Depuis son application en 1996 (et modification en 1999), il a permis d’aider 36 pays, essentiellement en Afrique, qui ont bénéficié d’une annulation de leur dette pouvant aller jusqu’à 90%.
La dernière problématique que soulève un effacement de la dette grecque concerne le coût qui serait supporté par les créanciers européens. Contrairement à ce qui est souvent évoqué, celui-ci serait relativement mesuré et gérable, a fortiori dans un contexte où les taux d’intérêt restent bas grâce à l’action des banques centrales et à l’excédent de liquidité sur le marché. Malgré le durcissement monétaire enclenché aux Etats-Unis, l’Institut International de la Finance estime que la liquidité « banque centrale » va continuer d’augmenter à un rythme annuel équivalent à 2% du PIB mondial, avant de commencer à diminuer à partir de 2019, ce qui permet de relativiser les craintes d’envolée des taux.
En outre, il faut rappeler que, dans les faits, l’Etat rembourse les intérêts des emprunts, mais jamais le principal. Par conséquent, le coût réel et immédiat pour les Etats européens consisterait en une perte sèche au niveau des intérêts que leur rembourse la Grèce (en moyenne de 1,5%) et au paiement des intérêts liés au refinancement des sommes levées sur le marché au bénéfice d’Athènes. Le coût économique en question n’est certainement pas suffisamment prohibitif pour accepter le risque géopolitique que fait courir à l’Europe le lent effondrement de la Grèce.