Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
Quelle que soit la tendance, bonne ou mauvaise, des statistiques « macro », celles-ci sont accueillies dans l’indifférence générale des marchés.
En revanche, sortez n’importe quelle rumeur d’un pseudo-accord sino-américain ou britanno-européen et les permabulls/suiveurs s’empressent d’arracher les indices boursiers à la hausse en répétant en boucle -et avec des étoiles plein les yeux- que tous les problèmes qui nous ont plombés depuis le début de l’année seront bientôt résolus.
Plombés, vraiment ?
Avec un CAC40 gagnant plus de 20% depuis le 1er janvier et un CAC « GR » affichant +24%, on mesure pleinement à quel point ces marchés étaient déprimés et en attente d’une véritable hausse et les observateurs estiment qu’à 5 500/5 700 points (environ 15 000/15 400 sur le CAC « GR »), les actionnaires se morfondent !
Ces derniers ont vu leurs gains stagner entre +16 à +20% au cours du 3ème trimestre, une paralysie imputée à la guerre commerciale sino-américaine et au vaudeville du Brexit qui leur mettaient le moral au fond des chaussettes.
La plupart étaient donc « couverts » (c’est-à-dire protégeant leur portefeuille par des « puts ») et beaucoup étaient sous-investis.
Quelle frilosité, quel manque de vision !
Alors que le FMI révise pour la 5ème fois de l’année ses prévisions de croissance à la baisse (un record depuis 2008 et ces anticipations sont les plus sombres depuis 2009) et que les estimations de bénéfices du « T3 » sont réduites chaque mois à la baisse en Europe, la conclusion que nous assènent les beaux esprits, c’est que tenir compte des risques macro-économiques, géopolitiques et de surendettement des entreprises vous expose au risque de « rater la hausse ».
Quand les banques centrales remettent des jetons en circulation, les jeux reprennent !
Voilà donc comment les marchés fonctionnent : ce n’est pas parce qu’à la table de poker de Wall Street, vous n’avez qu’une « paire de 2 » en mains et qu’il y a 2 as retournés au milieu de la table qu’il ne faut pas surenchérir.
Bien au contraire : misez comme un furieux pour faire croire que les 2 autres as sont dans votre main.
Si vos adversaires ont une paire roi, ils peuvent croire à votre bluff.
Si un seul des autres joueurs détient un as… évidemment, vous êtes mort.
Oui, le marché fonctionne comme une table de poker : oubliez que vous avez un jeu (macroéconomique) pourri et misez comme si vous aviez des as en main.
Si vous ne le faites pas, personne ne prendra votre bluff au sérieux.
En l’occurrence, les agents économiques du monde réel ont tendance à se fier à la hauteur du paquet de jetons sur la table (la hauteur des indices boursiers) : si les mises sont « substantielles » (comme les pseudo-avancées des négociations sino-américaines), alors ils ont tout lieu de croire qu’il y a de belles mains (un bel avenir) en perspective.
Et pour que le paquet de jetons en mette plein la vue, le casino en distribue discrètement pour des dizaines de milliards aux joueurs membres de son cercle de poker : les heureux élus -complices de cette combine- sont naturellement triés sur le volet et sélectionnés en fonction de leur capacité à bluffer sans que la sueur perle sur leur front.
Vous vous demandez peut-être de quel paquet de jetons il est question ?
Ils se déclinent en « OMO », « QE », TLTRO, etc.
Vous rétorquerez que les 20 Mds€ de « QE » de la BCE ne sont en effet pas très impressionnants et sont déjà dans les cours depuis presque 1 mois.
Mais attendez, la FED vient de regonfler son bilan de 200 Mds$ depuis le 16 septembre, soit l’équivalent de 9 mois de « QE » de la BCE.
Et cela n’est rien en regard de l’achat de 60 Mds$ de T-Bills (des instruments d’une maturité allant de 5 jours à 52 semaines) par mois jusqu’en juin 2020, auxquels il faut ajouter 20 Mds$ par mois de T-Notes de maturité plus longue (de 5 à 7 ans) pour regonfler son bilan.
Au final, cela représente 80Mds$ de liquidités par mois pour « jouer » sur les marchés (car évidemment, cette monnaie injectée par la banque centrale ne sera pas investie dans l’économie réelle).
Jerome Powell répète à l’envi « qu’il s’agit de mesures purement techniques destinées à soutenir la mise en œuvre effective de la politique de taux d’intérêt : cela ne constitue pas un changement dans sa politique monétaire et ne vise pas à infléchir le niveau des taux d’intérêt à long terme ni la situation financière en général. »
Le président de la FED certifie que cela “ne constitue pas une reprise de l’assouplissement quantitatif”… mais pour Wall Street cela a bel et bien la couleur « vert dollar » et l’odeur enivrante du « QE ».
C’est en effet difficile et surtout dangereux d’avouer que le colmatage du marché interbancaire a commencé dès la mi-septembre et que le refinancement de la dette américaine pose désormais problème.
Et surtout, il faut pouvoir brandir la possibilité de mettre en œuvre un « QE » en cas de coup dur (faire rêver les marchés d’un potentiel sauvetage, une dernière fois).
Si les marchés concluent que ces 80Mds$ mensuels font office de « QE », alors c’est que Wall Street est peut-être déjà « dans le mur ».