Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
Donald Trump a eu beau dénoncer le climat de psychose instauré par ses adversaires démocrates et marteler que l’épidémie de coronavirus était « contenue » aux Etats-Unis, force est de constater que Wall Street ne le croit plus. Pour la bonne raison que tout démontre que la pandémie n’est nulle part sous contrôle et que la croissance s’effondre en Chine.
Avec une perte moyenne de 13% en 6 séances, les places boursières occidentales viennent de connaître une fin de mois absolument cauchemardesque. C’est du jamais vu depuis décembre 2008 ou février 2009.
Surtout, il s’agit du plus violent contre-pied sous un sommet long terme de l’Histoire et c’est également un record en termes de destruction de valeur en l’espace de sept jours, avec 8 000 Mds$ « envolés » pour l’ensemble des places boursières et 4 300 Mds$ pour la seule Bourse de New York au plus fort du repli le 28 février (4 000 Mds$ au final).
Le « fear & greed index » est quant à lui passé en dix jours jours de +97 (le record historique d’appétit pour le risque) à une marque de… 9 (un niveau de peur et de survente tout aussi historique), ce qui constitue un formidable révélateur de la vulnérabilité sous-jacente de la sphère financière dès lors qu’elle trouve contrainte de se reconnecter à la sphère du réel !
Les places boursières se sont ainsi retrouvées six mois en arrière en à peine six séances… dans le meilleur des cas ! Le Dow Jones est même retombé au contact de son plancher du 3 juin 2019.
Tous les gains induits par les trois baisses de taux estivales puis par les injections quotidiennes de la Fed depuis la mi-septembre se sont par ailleurs volatilisés.
La fin de l’invulnérabilité
Quelle démonstration de l’inconséquence des professionnels de la finance. Ceux-ci se sont contentés de se laisser porter par les flux de liquidités des banques centrales sans se poser de questions, défendant de façon quasi-unanime la thèse de valorisations « un peu tendues » sur certains titres, mais globalement toujours attractives, par rapport aux produits obligataires qui ne rapportent rien, et même moins que rien en Europe.
En poussant le raisonnement jusqu’à l’absurde, il vaut mieux aujourd’hui détenir du Tesla (NASDAQ:TSLA), même avec un PER de 99 ou de 110 (contre 9 en moyenne pour le secteur automobile), ou du Virgin Galactic à 2 500 fois le chiffre d’affaires, plutôt que des Bunds qui confisquent 0,50% à leurs détenteurs.
Et en ce qui concerne les stratégies algorithmiques sur les dérivés de volatilité, le trading d’options sur actions, il s’agit de méthodes de gestion probabilistes qui ne devraient avoir leur place que dans un casino où il n’est pas rédhibitoire d’ignorer si le plateau de la roulette est en bois de tek de Birmanie ou en palissandre et si la petite bille blanche est en ivoire végétal ou en résine.
Sauf que ces mêmes algorithmes jouent avec des entités qui ne se résument pas à une substance inerte, ou à un profil mathématique s’insérant dans un scénario quantique ou de gestion de « delta » (et de « gamma » sur les options) : ce sont des actions d’entreprises qui ont un métier, qui sont animées par des hommes, lesquels sont les seuls véritables créateurs de richesse… et qui surtout inscrivent leur destin dans le temps long et non pas dans univers totalement virtuel cadencé au 10 000ème voire au 100 000ème de seconde.
Voilà pour l’échelle microéconomique, dans laquelle la gestion raisonnée n’a plus sa place depuis près de deux décennies. Sur le plan macroéconomique à présent, rappelons que nous vivions depuis treize mois dans une sorte de paradis artificiel saturé de liquidités par les banques centrales, animé par des investisseurs soi-disant rationnels et disciplinés. La réalité est quelque peu différente puisque 80% d’entre eux ne sont plus que de simples allocataires d’actifs, des fonctionnaires de la gestions passive qui adulent ce cycle décennal d’expansion poussive… mais tellement « goldilocks » !
Mais au fait, qu’est-ce que le « goldilocks » ? C’est simplement assez de croissance pour miser sur une progression marginale des profits, mais pas suffisamment pour que les banques centrales renoncent à déployer toute une panoplie de mesures de soutien monétaire, ni surtout à suspendre leur politique de taux ultra-bas.
C’est ce qui permet aux entreprises de racheter leurs propres titres ou de financer leurs dividendes à crédit – et parfois, les deux à la fois !
Le soutien sans faille de la FED depuis janvier 2019 a fini par alimenter un sentiment d’invulnérabilité à Wall Street, et surtout par conforter une tournure d’esprit qui consiste à minimiser systématiquement les effets des vents contraires et à ignorer la présence de récifs à fleur d’eau pour garder obstinément le même cap haussier, avec en toile de fond la certitude que Jerome Powell se débrouillera toujours pour éviter le naufrage.
Après avoir refusé de voir que le Covid-19 était différent du SRARS et du H1N1, d’admettre que l’ampleur de la riposte sanitaire des autorités chinoises était sans commune mesure avec celle de 2003 et de 2009, Wall Street s’est aveuglé sur les conséquences en cascade de la mise au chômage technique de « l’usine du monde », ce avec la bénédiction d’un Donald Trump répétant à l’envi que le problème de la propagation du virus était surtout celui de Pékin.
Il était pourtant évident que celui-ci se répandait de façon incontrôlable en Asie et en Europe, avec des conséquences identiques dans chaque pays touché : mises en quarantaine de villes et de régions entières, fermetures des établissements scolaires, annulation d’événements majeurs comme le Salon de l’Automobile de Genève, du semi-marathon de Paris, annulation de concerts, fermetures des salles de cinéma… et mêmes de sérieux doutes sur l’organisation des Jeux Olympiques au Japon, qui a décrété l’état d’urgence sanitaire dans l’île d’Hokkaido.
C’est comme si Wall Street semblait soudain découvrir à quel point la situation était devenue délétère dans un monde qui lui paraissait si lointain, le monde réel, et c’est ainsi que l’on est passé en un week-end, celui du 21 février, du déni à la déroute.
Sur les marchés actions, il en a découlé le sell-off que l’on sait… Alors que le S&P500 a flirté à plusieurs reprises vendredi avec les -4% en intraday, le « VIX » a de son côté flirté avec les 50, c’est-à-dire la « zone de panique » testée en février 2018 (« volatgeddon ») et en août 2015 (dévaluation du Yuan par la PBOC).
Les T-Bonds ont symétriquement affiché de nouveaux planchers historiques avec 1,115% sur le « 10 ans » (-35 points sur la semaine) et seulement 0,9% sur le « 2 ans », ce dernier ayant signé sa plus spectaculaire baisse de rendement hebdomadaire (-45 points) depuis début mars 2009. Enfin, le « 30 ans » a inscrit un plancher de 1,655%, soit un recul de 30 points au titre de la semaine close.
Il est cependant à noter que les marchés obligataires intègrent déjà deux baisses de taux de la FED d’ici fin avril (dont 95% de probabilité mi-mars), plus une troisième consécutive en juin (à 55%) et une quatrième fin décembre (60%). Autrement dit, après que la Réserve fédérale ait tiré ses quatre prochaines cartouches, sans aucune garantie que ces dispositions soient efficaces plus de quelques semaines, il ne lui restera plus que deux munitions et son barillet sera vide !
Minimisations
L’un des membres de la FED, James Bullard, s’est exprimé ce vendredi pour expliquer que la crise du coronavirus semblait gérable sur le plan sanitaire, tandis que, sur le plan économique, les marchés surestimeraient à ses yeux les impacts négatifs. Il a ainsi repris l’essentiel des éléments de langage de la Maison-Blanche, ceux de Larry Kudlow puis ceux mitraillés à coups de tweets et de conférences de presse par Donald Trump en fin de semaine dernière.
Le président américain a moqué la psychose du coronavirus qui a fait zéro victime aux Etats-Unis (pas de chance pour lui, le premier décès sur le sol américain est survenu le lendemain) et s’en est pris à ses adversaires démocrates, coupables à ses yeux de faire baisser les marchés, ce qui lui est insupportable. Et pour cause : une semaine plus tôt, il allait voir sa promesse des 30 000 points sur le Dow Jones se matérialiser.
Las ! Vers 21 heures vendredi, le Dow Jones accusait un repli de 4% par rapport au 28 février 2019. Une année de hausse fichue par la faute de quelques médias – à la botte des démocrates – qui s’amusent à alimenter une psychose imbécile ne débouchant que sur une pénurie de masques en papier, masques de toute façon utiles uniquement aux personnes ayant développé la maladie.
A l’appui des propos mesurés de James Bullard, on peut signaler que les ménages américains ne semblent pas encore avoir perdu leur sang-froid ni leur foi en un avenir radieux : le chiffre révisé de la confiance des consommateurs progresse même de 0,1 point à 101 et teste un nouveau zénith.
On peut toutefois penser que cette enquête a été réalisée avec le plongeon de 13% des indices US !
La confiance est en revanche complètement carbonisée du côté des spécialistes du pétrole étant donné le recul perpétuel du baril de WTI, qui a fondu de 15% entre les 20 et 29 février. Ces niveaux de cours deviennent critiques pour les exploitants de « shale oil » (pétrole de schiste) les plus endettés dont la dette high yield a vu sa prime de risque exploser de près de 500 points de base pour flirter avec les 10%, ce qui suffit à caractériser une situation de faillite imminente.
Près de 20% des entreprises chinoises seraient également au bord de la faillite, mais la PBOC a été claire dès le début : elle leur fournira toutes les liquidités nécessaires, repoussera le versement de leurs impôts, rachètera leurs dettes, etc.
Wall Street se pose donc la question : qu’est-ce que la FED attend pour en faire autant ?
Il est assez cocasse de constater que les investisseurs qui se prétendent les plus libéraux supplient la FED d’assurer leur salut via des recettes émanant d’une dictature communiste, mais ce n’est somme toute que le prolongement logique de leur accoutumance à une administration du prix des actifs à la soviétique depuis 11 ans.
L’autre cas de manipulation le plus flagrant est celui des cours de l’or, mais sa rechute anachronique de 100$ en une semaine de 1 675 vers 1 575$ – alors que le rendement des bons du Trésor s’effondre – semble cette fois davantage résulter d’une vague de liquidation forcée (pour faire face aux appels de marge, comme à l’automne 2008) que d’une vague de défiance ou du sentiment qu’il y a mieux à faire ailleurs…