Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
Les places européennes ont-elles le don de prescience ? Le scénario intraday observé à Wall Street hier est non seulement identique, mais de surcroît encore plus brutal que celui observé en fin d’après-midi sur le CAC40 ou l’Euro-Stoxx50. Après avoir marqué de nouveaux sommets, les indices se sont brutalement retournés pour terminer dans le rouge (léger le rouge, n’exagérons pas).
Après avoir marqué 5123,50 points à 16h00, le CAC40 a flanché jusqu’à 5 083 points (-0,79%). Le Dow Jones est retombé de +0,9% à -0,2%, le Nasdaq – qui était au zénith historique à 5 935 points (+0,6%) – a fini en repli symétrique de -0,6% à 5 864 points, le S&P 500 lâchait 0,3%… et le Russel2000 -1,2%. C’est le plus sévère contrepied intraday subi par les indices américains en 14 mois (tous les autres furent des contrepieds à la hausse)… Et ce retournement s’accompagne d’une belle poussée de stress caractérisée par un bond de 10% du VIX, à 12,90 points. Mais avec cette fois, l’explication n’a échappé à personne : le compte-rendu de la dernière réunion du 15 mars révèle que les membres de la Fed jugent les marchés US trop valorisés (quels que soient les critères d’évaluation) et qu’il convient d’envisager une réduction de la taille de son bilan, qui a été maintenu à 4 500 Mds$ depuis l’arrêt du dernier QE fin 2014. Envisager un assèchement progressif des liquidités ?!! Tout le monde sait que cela plombe le moral des investisseurs, drogués aux liquidités depuis 8 ans. Et là-dessus se greffent des questionnements sur l’ampleur du plan fiscal de Donald Trump, avec comme sous-entendu (c’est Paul Ryan, le chef de file républicain, qui fait part de sa prudence) la possibilité qu’il doive revoir ses ambitions à la baisse. Or, la réduction des taxes et impôts promise se voulait la plus radicale depuis la première mandature de Ronald Reagan… et les marchés ont surjoué cette perspective ! L’effet douche froide est d’autant plus brutal qu’un petit vent d’euphorie soufflait à New York depuis la publication en matinée de l’enquête mensuelle d’ADP sur l’emploi (ADP a comptabilisé 263 000 créations de postes dans le secteur privé en mars, contre 245 000 le mois précédent, alors que les économistes anticipaient un score voisin de 175 000. Heureusement, SuperMario vient à la rescousse Mario Draghi a apporté une touche de douceur dans ce monde de brutes. Alors que la Fed envisage rien moins que de réduire la taille de son bilan (une véritable déclaration de guerre à Wall Street), la BCE leur a adressé un message de soutien sympathique et accommodant comme le marché les aime : « la balance penche en faveur de la croissance mais la partie n’est pas gagnée, un soutien à l’économie demeure nécessaire (…). En ce qui concerne les anticipations d’inflation, elles restent inchangées et il n’y a pas de signe d’accélération. »
Le changement de stratégie de la Fed correspond-il à une réelle volonté de normaliser la politique monétaire au risque de faire dérailler Wall Street… S’agit-il d’un ballon d’essai destiné à évaluer le degré d’aversion à un assèchement de la liquidité ? Ou bien est-ce la première tentative de mettre des bâtons dans les roues du chantier de Trump ? N’oubliez pas que la Fed se réserve toujours la possibilité de rétablir un discours colombe si les opérateurs se roulent par terre de douleur (façon joueur de foot italien) en expliquant qu’il s’agit d’une « réflexion dans l’absolu », qu’il n’y a pas de calendrier, qu’elle reste data dependant. Mais rien que ce discours resserre les conditions monétaires et permettra de les détendre par les mots. A moins que ce soit une manière politiquement correcte d’avouer qu’elle navigue à vue… et qu’elle ne prendra jamais le risque de contrarier les marchés.