Le 17 septembre, le mandat du gouvernement minoritaire Wilmès II s’achèvera. Une coalition Vivaldi (socialistes, libéraux, écologistes, sociaux-chrétiens flamands) pourrait enfin voir le jour. En cas d’échec, les Belges retourneront aux urnes. Avec le risque de voir le séparatiste Vlaams Belang couronné premier parti belge et majoritaire en Flandre avec l’appoint de la N-VA.
La Belgique peut-elle se permettre de plonger dans un chaos institutionnel alors que des décisions s’imposent pour sortir le pays la crise ?
Après 480 jours de tergiversations, la Belgique va peut-être accoucher d’un gouvernement de plein exercice soutenu par une majorité au Parlement. La nouvelle coalition comiquement baptisée Vivaldi-Avanti serait composée de 7 partis appartenant aux quatre grandes familles politiques traditionnelles, l’appoint du cdH n’ayant pas été jugé nécessaire. Elle pourrait compter sur le soutien de 87 députés sur 150.
On n’attend plus que le CD&V daigne donner son accord. Mais comme ce parti a beaucoup à perdre en lâchant la N-VA avec lequel il gouverne en Flandre, il pose ses conditions et fait monter la pression, notamment sur la question d’un assouplissement de la loi sur l’IVG. Cela peut se comprendre. En acceptant de rejoindre une coalition qui, pour la première fois, sera minoritaire en Flandre, le CD&V sera inévitablement qualifié de traître par les deux partis nationalistes flamands. En cas d’élections, il risque de perdre des plumes. Ce qui explique pourquoi il est pour l’Avanti… mais à reculons.
Une coalition pour éviter le pire
« Il n’y a plus de retour en arrière possible » a cependant rassuré Conner Rousseau, président du sp.a et préformateur nommé par le roi avec son collègue Egbert Lachaert, président de l’Open Vld. Mais tant que le match n’est pas fini, tout est encore possible. Surtout en Belgique. En tout état de cause, la première ministre Sophie Wilmès devra présenter sa démission le 17 septembre. Son gouvernement minoritaire était doté de pouvoirs spéciaux pour combattre la pandémie mais le soutien dont il bénéficiait était provisoire. Si dans les jours à venir, les négociations pour la formation d’un nouveau gouvernement capotent, les Belges devront revoter en novembre.
Une perspective peu réjouissante en cette ère de Covid et qui pourrait surtout sonner le glas de la Belgique telle que nous la connaissons. En effet, un sondage Ipsos (PA:ISOS) du mois de juin pour « Le Soir » créditait le Vlaams Belang de 27,7% des intentions de vote en région flamande. Un score impressionnant obtenu au détriment de la N-VA, qui ne ferait que 20%, soit un recul de 5,5% par rapport aux résultats obtenus lors des élections de mai 2019.
Le Vlaams Belang deviendrait ainsi le premier parti de Belgique. Si ces estimations se confirmaient dans les urnes, le Vlaams Belang et la N-VA auraient probablement la majorité en Flandre et gouverneraient ensemble. A deux, ils feraient pression sur les autres partis belges pour transférer un grand nombre de compétences du fédéral vers les entités fédérées. De gré ou de force, la Belgique irait vers une forme de confédéralisme.
C’est pour éviter cette « option nucléaire » que les partis traditionnels tentent de jouer la partition Vivaldi, une coalition hétéroclite de dernière minute qui, à terme, risque d’être bancale. Une issue plus logique eut pourtant été une coalition formée autour d’un axe N-VA et PS, les deux plus grands partis au Nord et au Sud du pays.
Les négociations entre Bart De Wever et Paul Magnette avaient pourtant bien avancé et avaient même débouché sur la rédaction d’une note d’intention. Ils n’avaient cependant pas réussi à obtenir la majorité nécessaire, notamment parce que Georges-Louis Bouchez, le remuant et très ambitieux président du MR, s’était mis en tête de torpiller cette alliance. N-VA et PS avaient pourtant fait des concessions mutuelles. De Wever avait obtenu des avancées sur le front du transfert des pouvoirs aux Régions - soins de santé, justice, protection civile, - dans le cadre d’une réforme ultérieure de l’Etat et avait accordé en retour à Magnette des assurances sur le volet social.
Les difficultés ne font que commencer
On n’en est plus là. S’il parvient à se constituer, le nouveau gouvernement n’aura pas la tâche facile. Il sera confronté à une triple crise : sanitaire, économique et sociale. Sanitaire car pour l’heure, la pandémie est loin d’être vaincue et les mesures de distanciation sociale resteront en vigueur. Une deuxième vague est toujours possible en hiver et le vaccin ne sera pas disponible avant l’année prochaine. Economique, car les retombées du confinement furent catastrophiques pour certains secteurs, notamment l’Horeca et le tourisme. Et le moteur de l’économie reste partiellement grippé : en juin, la Banque nationale tablait sur un recul du PIB de 9% en 2020.
Enfin sociale, car même si les mesures adoptées dans le cadre du plan fédéral de protection sociale et économique ont permis d’amortir les séquelles les plus graves de la crise, le chômage est reparti à la hausse et atteindra 7,7% de la population active fin 2020. Il faudra également tenir compte des conséquences d’un « hard Brexit », qui se précise de jour en jour, et qui pourrait coûter 10 à 15.000 emplois aux ports de Zeebrugge et d’Anvers.
A ces écueils déjà nombreux, s’ajoute un problème de légitimité démocratique qui risque de gangrener la nouvelle coalition gouvernementale. Une alliance ne jouissant pas d’une majorité dans la région dominante du pays est-elle viable à long terme ? La réponse est probablement non. On peut aussi s’attendre à de nombreux tiraillements au sein même de la coalition, chaque parti venant avec ses demandes : les socialistes et le CD&V veulent plus de social, les libéraux des mesures pour alléger la fiscalité et les charges des entreprises et les écologistes, des mesures environnementales. Satisfaire toutes ces exigences à la fois coûtera cher et le budget, déjà plombé par les mesures anti-Covid, n’a aucune marge de manœuvre.
Il y a aussi les décisions qui ont été mises provisoirement au frigo mais qui finiront par revenir sur la table. Par exemple, la sortie du nucléaire en 2025, un sujet explosif sur lequel écologistes et libéraux ne sont pas du tout d’accord entre eux. De leur côté, les libéraux seront-ils en faveur d’un impôt sur les plus-values ou le patrimoine destiné à financer le train de mesures sociales ? C’est peu probable.
Hormis le principe d’une hausse du budget consacré aux soins de santé et qui fait l’unanimité, la coalition Vivaldi va devoir manœuvrer subtilement pour donner satisfaction à chaque partie. On aura sans doute droit à un saupoudrage de mesures permettant à la fois d’améliorer la compétitivité des entreprises, de soutenir l’emploi et d’accélérer la transition écologique.
Comment sortir des crises à répétition ?
Tout ça pour ça ! Il aura fallu plus 470 jours pour en arriver là. Pour beaucoup, cette désertion est une honte. En tout cas, elle ne plaide pas en faveur de la classe politique, qui jouit de moins en moins de la confiance des citoyens. Pour les optimistes, le fait qu’un gouvernement d’urgence ait pu être formé malgré tout pour prendre des décisions sanitaires est plutôt bon signe et une preuve de résilience. C’est sans doute la raison pour laquelle Sophie Wilmès, qui a su tenir la barre au milieu de la tempête, est la personnalité préférée des francophones.
Mais de coalitions de circonstance en rafistolages politiques, une conclusion saute aux yeux. Dans ses structures actuelles, la Belgique est un pays quasi ingouvernable. Depuis 2008, la Belgique a vécu trois ans de vacance du pouvoir ! Trois ans de gouvernements d’affaires courantes et de douzièmes provisoires ! Le problème est bien plus profond que les conflits d’intérêts et la confrontation des ambitions personnelles. Pour paraphraser Shakespeare : « Il y a quelque chose de pourri au royaume de Belgique ».
Car l’opposition entre Flamands et francophones, deux communautés culturelles qui n’ont plus grand-chose en commun, se double d’une autre séparation, idéologique celle-là : le Nord vote à droite et le Sud, à gauche. Autant dire que l’unité de ce pays ressemble de plus en plus à un mirage. A l’instar d’un couple qui ne s’entend plus, ne vaudrait-il pas mieux se séparer en douce et trouver un moyen de gérer les conséquences ? Cela impliquerait que le principe du confédéralisme soit mis à plat, qu’on confronte les scénarios possibles et qu’on réfléchisse courageusement aux moyens de vivre côte à côte mais séparés. Sinon, le risque est réel de voir un mouvement d’extrême droite devenir premier parti d’un pays exsangue.