Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
La Une du Bild (l’équivalent allemand d’un tabloïd britannique) du week-end dernier a fait vivement réagir l’ancien président de la BCE Jean-Claude Trichet lundi matin.
Et pour cause : son successeur Mario Draghi était représenté dans le photomontage de couverture revêtu d’une grande cape noire à revers rouge, avec deux canines de vampire sortant de ses gencives et une accroche lapidaire, « Le comte Draghila siphonne nos comptes en banque ».
Le président de la BCE a en effet annoncé jeudi dernier l’aggravation du taux de dépôt de -0,4% à -0,5 %, ce qui préfigure l’instauration de pénalités sur les liquidités des épargnants (comme au Danemark). Une reprise du programme d’achat de titres « QE » a également été décidée, ce qui écrase les rendements sur l’ensemble de la courbe des taux à partir de début novembre.
L’instauration de « taux punitifs » avait soulevé une vague de protestations en Allemagne lors de leur mise en place en 2015. Cette fois-ci, la banque centrale a mis en place tous les mécanismes permettant de les pérenniser et a confirmé qu’il en serait ainsi pour longtemps. Trois ans minimum du point de vue du marché, aussi une normalisation ne redeviendrait-elle à l’ordre du jour qu’à compter de 2022…
Mais comme les prévisions de croissance et d’inflation à l’horizon 2021 sont plus que languissantes, voire carrément décevantes avec une croissance d’à peine plus de 1,4% en France ou en Allemagne, disons-le tout net : il faudrait vraiment un spectaculaire dérapage des prix l’année suivante pour que la banque centrale estime qu’il faut se tenir prêt à « calmer le jeu ».
Un conseil divisé
Par ailleurs, contrairement à ce qu’a tenté de faire croire Mario Draghi lors de sa conférence de presse de jeudi dernier, s’il existe un certain consensus au sein de la BCE pour offrir un soutien résolu et durable à la croissance (il a ainsi précisé que le conseil des gouverneurs n’avait pas eu besoin de recourir à un vote formel pour entériner les décisions), le consensus n’est pas pour autant de mise au sujet des taux négatifs et du « QE ». Certains membres n’hésitent d’ailleurs plus à étaler au grand jour leurs divergences, même si elles devraient rester étouffées par des portes capitonnées, et se livrent à des attaques publiques et virulentes contre la stratégie du futur ex-président.
De son côté, Klaas Knot, le président de la Banque centrale néerlandaise, a publié un communiqué officiel dans lequel il dénonce des mesures monétaires « disproportionnées par rapport à la conjoncture économique actuelle », tout en doutant de leur efficacité.
Même son de cloche ou presque chez Jens Weidmann, le président de la Bundesbank, qui dans une interview au Bild estime que Mario Draghi a « dépassé les bornes avec la décision d’acheter encore plus d’emprunts d’Etat ».
Et de poursuivre : « il sera encore plus difficile pour la BCE de sortir de cette politique, et plus elle dure, plus les effets secondaires et les risques pour la stabilité financière augmentent ».
L’intéressé a tenté de désamorcer la fronde de ses « collègues » en rappelant, à juste titre d’ailleurs, que la BCE « ne peut pas tout », et en suggérant que les outils monétaires auront atteint les limites de leur efficacité si les gouvernements qui sont en excédent ne prennent pas leur responsabilités en orchestrant une relance budgétaire. Ce que l’Allemagne et les Pays-Bas se refusent toujours à faire tant que d’autres pays ne mettent pas d’ordre dans la gestion de leurs comptes publics.
Pas question pour eux de payer pour les cigales du sud “accros” aux déficits et adeptes de la TMM (théorie monétaire moderne, MMT en anglais), qui postule que l’on peut s’endetter à l’infini tant que l’inflation reste en hibernation… et tant que la Banque Centrale est là pour leur racheter toutes leurs émissions de billets de Monopoly.
Mais rassurez-vous, la FED a également quelques petits soucis d’intendance depuis un peu plus de 48 heures… Avec un gros « bug » sur le marché interbancaire américain et l’injection en urgence de 53 + 75 Mds$ de liquidités à 24 heures d’intervalle (l’équivalent de 6 mois de « QE » de la BCE, et ce n’est peut-être pas fini), en sus de dissensions internes qui commencent également à faire mauvaise impression…