Publié à l'origine sur la Bourse au quotidien.fr
Dans sa traditionnelle chronique du lundi, Philippe Béchade constate notamment une multiplication du nombre de SPACs outre-Atlantique, mais que faut-il réellement penser des nouvelles coqueluches de Wall Street ?
Elon Musk s’est vanté d’avoir gagné autant en un mois avec ses récents achats de bitcoin (qui a pris plus de 60% par rapport à son cours d’achat, avec une pointe à 49 500 $) qu’en dix ans en essayant de fabriquer des voitures. A ce propos, l’information commence à se répandre au sein des salles de marché et parmi les fans du nouvel homme le plus riche du monde : Tesla (NASDAQ:TSLA) n’a jamais gagné un seul kopeck avec ses batteries à roulettes, tous les pseudo-bénéfices du constructeur réalisés au titre de son exercice 2019/2020 correspondant en fait à de l’argent du contribuable, sous forme de subventions directes à la « recherche », mais également de crédits carbone.
Et des crédits carbone, il en faudra beaucoup pour compenser les kilotonnes de CO2 nécessaires au minage des « BTC » acquis par Tesla en janvier… Le minage d’une cryptomonnaie est en effet l’activité la plus anti-écologique qui soit puisqu’un kilowatt consacré au bitcoin n’a chauffé aucun foyer, fait tourner aucune usine, alimenté aucun hôpital, ni permis de transporter aucun habitant de la planète.
C’est a priori le bon moment de revendre les usines et de transformer la trésorerie de Tesla (accumulée via des levées de fonds) en SPAC, c’est-à-dire en une structure d’investissement cotée – sans objectif précis – qui trouvera bien un truc époustouflant à racheter pour épater ses actionnaires.
Devenir actionnaire d’une SPAC (ou Special Purpose Acquisition Company) revient en réalité à confier ses économies à un joueur de poker en espérant qu’il soit chanceux – ou sache tricher de façon admirablement discrète – et suffisamment honnête pour partager les jetons quand il quittera la table.
Car la principale règle qui régit ces sociétés, c’est qu’il n’y a justement pas de règles : les fondateurs ne sont tenus de justifier d’aucune activité commerciale. De même, ils ne sont pas obligés de présenter un business plan au moment de l’introduction en Bourse, laquelle se résume à une pure levée de fonds, et par la suite la SPAC n’est tenue de publier aucun compte rendu d’activité durant deux ans.
Une impressionnante prolifération
Le SPAC sont donc peu ou prou des coquilles vides, créées pour racheter d’autres entreprises non cotées pour les amener en Bourse en fusionnant avec elles, ce qui évitera à la cible de devoir passer par le lourd et coûteux processus d’IPO (5 ou 6 % de frais sur les capitaux levés).
Il est à noter qu’en 2020, les SPAC ont levé plus de fonds lors de leurs introductions en Bourse que durant toute la décennie 2009/2019. En outre, rien que l’an dernier, pas moins de 250 SPACs sont entrées en Bourse sur les cinq continents, quatre fois plus que les années précédentes
On dénombre actuellement 136 SPACs listées à Wall Street, et pas moins de 101 d’entre elles ont été introduites à Wall Street l’an passé, soit la moitié des IPO menées à bien en 2020. La 137ème est en cours de création par Jean-Pierre Mustier, l’ancien patron d’Unicredit (MI:CRDI) (il imite Tidjane Thiam, l’ex-patron franco-pakistanais de Crédit Suisse, récemment débarqué de la banque zurichoise), qui entend investir dans les services financiers, y compris la gestion de patrimoine ou les fintechs… et aura de toute façon carte blanche pour les 24 prochains mois.
Le phénomène des « IPO/chèques » en blanc constitue certainement un des plus évidents symptômes de la surliquidité orchestrée par les banques centrales. Il y a tellement d’argent qui suinte des murs qu’on semble manquer d’éponges pour l’absorber, mais heureusement, les SPAC débarquent à Wall Street par packs de six !
De quoi faire exulter la place new-yorkaise, littéralement en fusion en cette mi-février avec pas moins de cinq nouveaux records battus vendredi (Dow Jones, S&P500, Nasdaq, Dow US, TMSI et NYSE Composite), le grand absent étant le Russell 2000 qui fait une pause sous les sommets après avoir tout de même grimpé de 16% depuis le 1er janvier.
Les spéculateurs se sont rattrapés avec le bitcoin et comme en février 2020, les investisseurs payent comme si aucun nuage ne planait au-dessus de leur tête. Il y a un an, ils refusaient obstinément de considérer la situation sanitaire en Chine et la prolifération des cas de Covid-19 en Europe et sur le sol américain. Ce vendredi 12, ils continuaient d’ignorer la tension des taux longs, avec des rendements qui ont atteint leur plus mauvais niveau de l’année simultanément sur les T-Bonds américains (1,20%), les Bunds et nos OAT.
Au diable la remontée des taux longs
Bien au contraire, la remontée des taux est interprétée comme un très bon présage pour les actions. La reprise sera plus précoce et plus vigoureuse que ne le prévoient les experts, notamment ceux de Bruxelles qui viennent de revoir à la baisse leur estimation de croissance de l’eurozone de +4,2 à +3,8% cette année.
Comme l’année dernière, les investisseurs ne seraient-ils pas en train de « regarder ailleurs », de s’enivrer de profits boursiers météoriques, de records en cascade et de SPACS alors qu’il se passe quelque chose d’alarmant sous leurs yeux et qui relève du facteur humain ? Car malgré un taux de contamination trois fois plus faible qu’en France, l’Allemagne vient de prolonger les mesures sanitaires les plus contraignantes de son histoire, dont l’interdiction d’accueillir plus d’un convive (y compris les membres de sa propre famille) chez soi à la fois.
Nos voisins vivent depuis six semaines une véritable désintégration des rapports sociaux et familiaux, du jamais vu à cette échelle depuis la séparation des familles par le Rideau de Fer. Le traumatisme psychologique est gigantesque outre-Rhin (beaucoup de suicides parmi les personnes âgées et de plus en plus souvent de décès chez les jeunes, notamment pour cause de surconsommation d’alcool et de stupéfiants), mais la presse germanique ose à peine l’évoquer et encore moins critiquer les récents choix de l’icône Merkel, qui a su maintenir l’économie allemande à flot en 2020. Comme s’il n’y avait plus que cette dimension qui compte…
La Chancelière est de la génération du Mur de Berlin – côté Est – et c’est elle qui dresse désormais un mur de l’obéissance et de la solitude devant chaque foyer. Nul ne veut réfléchir au prix d’une telle stratégie visant à sauver l’économie, mais pas ceux qui en font partie.