« L’Europe, l’Europe, l’Europe ! » Cette célèbre « sortie » du Général de Gaulle — fustigeant les esprits simples qui pensaient que l’Union à marche forcée de tous les pays du Vieux Continent résoudrait tous les problèmes — pourrait bien revenir comme un boomerang au nez des gérants et stratèges qui ne jurent que par les actifs libellés en euro depuis que Wall Street a pris +10%, suite à l’élection de Donald Trump.
L’Europe en retard sur les indices US… Oui, les indices européens ont pris du retard. Oui, il semble logique de considérer que continuer à payer des actions déjà hors de prix outre-Atlantique, c’est prendre un risque inutile… (c’est pourtant ce scénario absurde qui perdure jusqu’à présent). D’expérience, lorsqu’un rattrapage s’enclenche, cela survient au bout d’une quinzaine de jours, le temps que les gérants fassent le point sur leurs positions et fassent leur liste d’actions ou d’indices décotés sur les places étrangères.
Mais rien de tel ne se produit depuis 10 semaines. Le rattrapage tarde ; cela devient très long pour tous ceux qui sont surpondérés en valeurs du CAC40 ou de l’Euro-Stoxx600 et qui voient le Dow Jones franchir les 20 000 points tandis que l’indice parisien continue d’échouer piteusement sous les 4 900 (ou les 12 150 points sur le CAC Golbal Return).
Les gérants US qui font la pluie et le beau temps en Europe sont complètement captivés par l’actualité domestique qui se déroule sous leurs yeux. Les marchés doivent désormais s’habituer à une actualité twittée depuis le bureau ovale, à des déclarations à prendre au premier degré et non au troisième, à un décryptage kabbalistique des communiqués — comme du temps de l’ère Greenspan.
En un mot comme en cent : c’est aux Etats-Unis que « ça se passe » et nulle part ailleurs. Le slogan América First est déjà une réalité bien tangible pour Wall Street. Toutes les attentes ont été déçues sur le Vieux Continent. Il ne s’est rien passé la semaine dernière sur le CAC (-0,45%) ou l’Euro-Stoxx50 (+0,1%), alors que le Dow Jones engrange +1,3% (merci Microsoft (NASDAQ:MSFT) qui gagne +2,3% et dont la capitalisation refranchit le cap des 500 Mds$ pour la première fois depuis l’an 2000).
On nous explique aujourd’hui que le fait de tenir ses promesses (surtout celle que l’on espérait voir enterrées) rassure.
Le Obamacare a bien été suspendu — et n’a été remplacé par rien, contrairement à ce qu’il avait annoncé, mais le marché ne veut retenir que la première partie de la proposition.
La construction du mur frontalier avec le Mexique a été lancée — le marché veut oublier que c’est le consommateur américain qui paiera.
La suspension unilatérale des traités commerciaux n’inquiète pas le moins du monde les investisseurs — les partenaires des Etats- Unis se coucheront bien gentiment et accepteront toutes les règles du jeu.
Le FMI qualifie de nouveau la dette grecque de bombe à retardement et Donald Trump pense que c’est une bonne chose si cela peut accélérer la désintégration de la Zone euro. (Simone Wapler mouline depuis un moment sur ce risque, voyez l’interview que j’ai réalisé avec elle à l’automne : c’est toujours et encore plus d’actualité qu’avant !)
En fait, l’Europe est hors-jeu, et Trump se réjouit à l’idée de son éclatement
Le spectacle d’une Europe qui s’enfonce dans ses contradictions monétaires et fiscales, quel spectacle réjouissant ! Cela ne peut qu’inciter les investisseurs à privilégier une Amérique qui va redevenir great. Et c’est ce qu’ils semblent prêts à faire : Wall Street a battu une nouvelle série de records, le VIX s’est ancré dans ses plus-bas à 10,30 points le vendredi 27 janvier.
Les places européennes n’ont rien fait.
Wall Street semble pardonner toutes les outrances et la stratégie de rupture assumée de Donald Trump sous prétexte qu’il est « pro-business » alors que l’Europe ne semble préoccupée que de récupérer une partie des impôts et taxes non versés par des multinationales qui « créent de la richesse ». L’Europe veut les punir, Donald Trump veut les amnistier !
L’Europe (et surtout l’Allemagne) refuse de relancer son économie avant que les déficits soient suffisamment résorbés ; Trump a prévu de les faire exploser.
Son constat est simple et pragmatique : tant qu’il y a de l’argent et peu importe la provenance du fleuve de liquidités (BCE, BoE, BoJ, PBOC), il y aura toujours quelqu’un pour acheter des T-Bonds mieux rémunérés que des Bunds ou des OAT.
Le marché, anesthésié par l’opium monétaire, ignore qu’il puisse exister un réel danger. Pour lui, c’est comme un saut sans parachute dans un casque virtuel. La sensation peut être terrifiante mais on se rappelle vite qu’il suffit de retirer le casque pour se rassurer.
Alors, gardons le casque sur les yeux et réjouissons-nous de la sensation grisante de chute libre dans le puits sans fond de la dette… Le premier qui retirera le casque de Wall Street poussera un cri d’épouvante, car la réalité c’est qu’il chute depuis les 20 100 points… et que cela correspond à 20 100 Mds$ de dette américaine !