Voilà, ça y est, ce n’est pas le « grand manteau blanc » qui s’étend sur les marchés mais un brouillard d’azote liquide algorithmique qui fige impitoyablement tous les indices boursiers depuis jeudi dernier.
La version 2016 de la trêve des confiseurs revue et corrigée par les algos est d’une efficacité impressionnante : la volatilité du Dow Jones a été écrasée à 0,1% durant plus de 6 heures et demi de cotation mercredi.
Bon, il est vrai que l’enjeu est un peu particulier : l’indice phare ne devait à aucun prix s’inscrire à 20 000 avant ce vendredi 23 – sinon, fini le suspens, fini les éditions « spécial DJ 20K », fini le défilé des gérants venant nous expliquer pourquoi le marché devient si hésitant quand on approche de grands seuils psychologiques. Nous aurions raté un bien beau spectacle – alors que la seule psychologie qui compte, c’est celle des banquiers centraux, selon qu’ils mettront le « gros paquet » au guichet ou continueront de délivrer le minimum vital pour maintenir les indices à l’équilibre.
Pour l’instant, c’est service minimum depuis jeudi dernier, et cela se traduit par une camisole algorithmique si serrée que le marché en devient complètement ankylosé et commence même à virer au violet. Il serait peut-être temps de le laisser respirer… et de lui rajouter une bonne rasade d’azote.
Alors que les gérants calculent leurs bonus de fin d’année, l’état d’esprit demeure en mode « avidité » et « full risk on » ; Wall Street fait tapis depuis 6 semaines.
Les permabulls espèrent donc qu’après ce nouvel épisode de consolidation horizontale, le CAC40 va amorcer son rattrapage sur Wall Street et rallier objectif de 5 000 points. Allez, encore 5 séances complètes – largement de quoi gagner 3% sans forcer !
Comment bien présenter votre portefeuille
Les gérants appliqueront avec zèle, la semaine prochaine, la stratégie incontournable qui régit un bon habillage de bilan : acheter tout ce qui surperforme l’indice et le benchmark sectoriel et se débarrasser des canards boiteux, des mal aimés de la cote, ou même des valeurs… « ennuyeuses » — celles qui délivrent du rendement alors qu’on veut maintenant des titres à fort béta, comme ArcelorMittal (AS:ISPA) et son imbattable +88% annuel. Evidemment, il y a ceux qui l’avaient déjà ramassée au plus bas et qui ont gagné plus de 300% en ligne droite entre février et décembre… Mais tous les gérants n’ont pas forcément envie de mettre Arcelor en évidence pour plein de raisons sur lesquelles nous ne nous étendrons pas.
En revanche, cela réconfortera les clients de constater que leur gérant à saturé leur OPCVM de Kering (PA:PRTP) (+35%) ou de LVMH (PA:LVMH) (+23% depuis le 1er janvier), de Michelin (PA:MICP) (+20%), de Total (PA:TOTF) ou de BNP Paribas (PA:BNPP) (+16% après -30% fin février), le luxe suprême consistant à faire figurer en tête de liste une bonne grosse ligne de Technip (PA:TECF) qui s’envole de +47%.
Les gérants se délesteront des défensives comme Orange (PA:ORAN) ou Essilor (-10%) et à plus forte raison de Carrefour (PA:CARR) (-14% cette année)… puis se débarrasseront vigoureusement des utilities comme Engie (PA:ENGIE) (-24%) ou Veolia (PA:VIE) (-27%), les plus vulnérables à la récente remontée des taux.
Ils vendront également Nokia (HE:NOKIA) (ex-Alcatel-Lucent) qui chute deux fois plus lourdement que Carrefour… mais comme pour Arcelor-Mittal, c’est le genre de valeur « inconfortable » sur laquelle il vaut mieux se contenter de rapides aller-retour.
Plus les banques centrales cultivent le « no alternative », imposant un biais éternellement haussier aux actions, plus la réponse des gérants devient stéréotypée : « réplication indicielle passive ». C’est ce dont témoigne la ruée sur les ETF des 6 dernières semaines : le marché des ETF a explosé de plus de 100 Mds$ (le marché total des ETF représente 3 500 Mds$ !) Les gérants ont profité de la grande rotation sectorielle post-Trump pour liquider leurs valeurs choisies par stock picking : basta la stratégie discrétionnaire, les titres achetés et sélectionnés un par un avec soin ! Désormais, la seule chose qui compte, c’est d’être investi dans des paniers indiciels qui leur évitent de s’écarter du benchmark.
Les gérants finissent par obéir au mot d’ordre implicite véhiculé par les banques centrales et les sherpas qui servent de courroie de transmission dans un contexte de marchés administrés : « je ne veux voir qu’une seule tête »… Et, à l’image de la reine de coeur dans Alice au Pays des Merveilles, « que l’on coupe toutes celles qui pensent juste ».
C’est ce qui fut fait dès le lendemain du Brexit… du 9 novembre… du référendum italien… de l’échec du renflouement de Monte dei Paschi (MI:BMPS)… et qui sera fait lors du prochain incident diplomatique avec la Chine ou la Russie, ou lors du prochain séisme au Japon ou en Californie. Chaque catastrophe, chaque calamité économique, chaque chausse trappe politique sera l’occasion pour les banques centrales de manifester leur toute puissance en instaurant une spirale haussière là où une correction majeure aurait dû survenir.
Bien sûr, c’est une stratégie démente et qui a franchi depuis longtemps le point de non-retour… mais elle présente cet avantage insurpassable : elle est prévisible.
Dernière minute, Spécial BMPS
La débâcle boursière se poursuit pour BMPS (Monte Paschi), qui perdait très rapidement 15% peu après l’ouverture (après -10% lundi et -13% mercredi), inscrivant un nouveau plancher historique de 14,7 €.
La perte hebdomadaire atteint ainsi -30% alors que l’opération de conversion d’obligations en actions (les créanciers institutionnels se faisant hara-kiri) n’a permis de lever que de 2 milliards d’euros sur les 5 nécessaires à la survie de la banque… à court terme.
Car BMPS a fait savoir que ses réserves de trésorerie ne lui permettraient de survivre que 4 semaines au lieu de 11 selon le communiqué précédent concernant ce sujet crucial.
Tout repose désormais sur l’augmentation de capital qui se clôture ce jeudi : mais qui va y souscrire, sachant qu’elle permettra d’assurer une survie de quelques semaines avant que BMPS fasse de nouveau appel au marché ?
L’entrée de Qatar Investment au capital est jugée désormais très improbable, ce qui renforce la probabilité de voir le gouvernement italien y injecter (beaucoup) de l’argent public… mais attention, ça ne s’appellera pas un « bail out » mais un « fonds d’indemnisation d’épargnants victimes d’effets collatéraux » ; ça devrait passer auprès de Berlin !