La crise des migrants est l'occasion d'un nouveau face-à-face entre l'Allemagne, que ce défi conforte dans l'orthodoxie de ses finances publiques, et d'autres Européens qui voudraient voir le carcan des règles budgétaires européennes assoupli à cause de l'afflux de réfugiés.
Le grand argentier allemand Wolfgang Schäuble en défenseur de la discipline face à ses partenaires prêts à laisser filer les déficits... Le tableau est un classique dans une zone euro convalescente de la crise de la dette, où la tenue des comptes publics est une fréquente pomme de discorde.
Cette fois, une crise humanitaire inédite pour l'Europe est au coeur du débat, mais les lignes de fracture divergent de l'habituelle constellation qui voit Berlin dressé contre Paris ou Rome.
Cette fois-ci, l'Autriche, alliée traditionnelle de l'Allemagne, est en première ligne. "Il n'est pas concevable que les pays qui fassent le plus preuve d'humanité dans la crise des réfugiés soient punis pour cela", a déclaré son ministre des Finances Hans-Jörg Schelling.
Il demande à la Commission européenne d'appliquer une clause du pacte de stabilité qui permet au déficit public en cas d'"événements exceptionnels" de dépasser le plafond de 3% du PIB sans encourir de procédure de Bruxelles.
L'Autriche, dont le déficit devrait atteindre 2% du PIB selon les prévisions datant du printemps, a été traversée par des dizaines de milliers de migrants en route vers l'Allemagne.
- Vieux débat -
M. Schelling remet aussi sur le tapis un vieux débat en demandant que "les coûts exceptionnels soient retirés du calcul du déficit structurel".
Beaucoup d'Européens, l'Italie par exemple, plaident de longue date pour sortir certaines dépenses de ce calcul, notamment les investissements. La crise des migrants est l'occasion de revenir à la charge.
L'Italie est "l'un des pays qui dépensent le plus" pour les migrants, rappelle son ministre des Finances Pier Carlo Padoan. Pour lui, isoler les dépenses liées aux réfugiés est "une urgence vraiment européenne".
Le sujet agite aussi les esprits en Belgique, en Irlande. Le Luxembourg, qui a la présidence tournante de l'UE, a invité la Commission à "une analyse" sur le sujet.
La France est pour le moment largement absente du débat. Paris violera de toute façon le plafond de déficit en 2015 et 2016.
Pour le moment, Bruxelles ne se mouille pas. La Commission "va appliquer les règles du pacte de stabilité et de croissance (...), en prenant en compte tous les facteurs", a assuré le commissaire européen aux Affaires économiques, Pierre Moscovici.
Mais Berlin met déjà le holà. M. Schäuble a appelé samedi à "ne pas utiliser (la crise des migrants) comme instrument". "Que certains aient l'idée de s'écarter des critères de stabilité, on n'a pas besoin de crise des réfugiés pour cela", a-t-il ironisé.
- 'capacité d'agir' -
Berlin veut d'abord trouver une solution politique pour une répartition européenne des réfugiés, et ensuite éventuellement parler de gros sous. Et surtout M. Schäuble craint comme la peste un effet domino en zone euro, lui qui est persuadé que le salut de l'union monétaire réside dans la discipline budgétaire.
Pas la peine non plus de donner du grain à moudre aux collectivités allemandes. Déjà la Bavière réclame un assouplissement de la règle d'or budgétaire imposée aux Etats-régions, en pleine négociations entre l'Etat fédéral et les Länder sur une remise à plat de leurs rapports financiers complexes.
Angela Merkel et son ministre sont d'autant moins disposés à lâcher du lest qu'ils se sentent confortés dans leur orthodoxie budgétaire par la crise migratoire.
"Le chemin que nous avons pris a fait ses preuves", pour la chancelière, et ce sont les strictes économies d'hier qui "nous donnent la capacité d'agir" en faveur des migrants affluant aujourd'hui.
Et si l'Allemagne accueillera cette année entre 800.000 et un million de candidats à l'asile, pour un surcoût qui pourrait avoisiner les 10 milliards d'euros, cela ne se fera pas aux dépens du sacro-saint équilibre budgétaire. Il faudra trouver de quoi rogner ailleurs, a prévenu M. Schäuble.