Six attentats suicide en huit mois et une crise diplomatique avec la Russie ont renforcé les craintes sur l'avenir de l'économie turque, menacée par la désertion des touristes et de leurs milliards de dollars et l'inquiétude croissante des investisseurs étrangers.
Quelques jours après l'attaque attribuée aux jihadistes, la foule compacte qui arpente chaque jour l'avenue piétonne Istiklal, au cœur d'Istanbul, s'est nettement éclaircie. Le long de ses deux kilomètres, hôtels, restaurants et boutiques ont commencé à compter leurs pertes.
Le 19 mars, un kamikaze s'est fait exploser au milieu des commerces tuant quatre touristes étrangers et en blessant une trentaine d'autres.
Si les marchés financiers ont jusque-là réagi avec un relatif sang froid à cet énième épisode meurtrier, les analystes s'inquiètent de ses effets sur un pays à la croissance fragile, aux déficits publics importants et à l'inflation élevée.
"Ces attaques pourraient coûter cher à l'économie, en matière d'investissements à long terme et de tourisme", prévient William Jackson, de Capital Economics à Londres.
Depuis la reprise du conflit kurde dans le sud-est du pays et les premières attaques attribuées au groupe Etat islamique (EI) l'été dernier, l'augmentation jusque-là exponentielle du nombre de visiteurs étrangers s'est ralentie.
Le mouvement s'est même franchement inversé depuis que la Russie a fermement recommandé à ses citoyens de bouder leurs stations balnéaires favorites du sud de la Turquie, après la destruction d'un de ses bombardiers par la chasse turque le long de la frontière syrienne en novembre.
Hikmet Eraslan, patron de la chaîne d'hôtel stambouliote haut-de-gamme Dosso Dossi, affirme avoir été contraint de diviser par deux le prix de ses chambres pour les remplir. "Que peut-on faire d'autre?", dit-il, "il faut bien vivre".
Tout juste rénové, l'hôtel Golden Age, à quelques minutes de l'avenue Istiklal, loue à peine la moitié de ses 180 chambres, pour l'essentiel à des Iraniens venus fêter en Turquie leur Nouvel An.
"Notre directeur revient juste de (la foire internationale du tourisme à) Berlin. Il nous a rapporté que plus personne ne voulait venir en Turquie", se désole sous couvert d'anonymat un employé de l'hôtel.
- 'Prudence' -
Analyste à la Finansbank, Inan Demir anticipe cette année une baisse des revenus touristiques turcs à 17 milliards de dollars, contre 21 milliards l'an passé soit 3% du produit intérieur brut (PIB), et des tensions sur l'emploi dans ce secteur alors que le chômage a dépassé la barre des 10% de la population active.
Rien qu'en janvier, le nombre de touristes a déjà baissé de 20% par rapport au même mois l'an dernier.
Les investisseurs étrangers, eux aussi, vont se montrer "beaucoup plus prudents sur leur venue en Turquie, aussi bien pour leur sécurité que pour leurs participations", ajoute M. Demir, prédisant "un contrecoup pour l'économie turque".
Les tensions politiques constituent une autre source d'inquiétude. Plus tôt ce mois-ci, les autorités ont ordonné la saisie du groupe de presse d'opposition Zaman, proche de l'ennemi numéro 1 du président Recep Tayyip Erdogan, l'imam Fethullah Gülen.
"Lorsque les affaires et les décisions de justice semblent motivées politiquement, cela devient inquiétant pour les investisseurs étrangers", prévient M. Jackson.
Malgré ces clignotants passés à l'orange, l'économie montre des signes encourageants de résilience, aidée par la persistance de faibles prix des hydrocarbures. La production industrielle a progressé de 5,6% en janvier et l'indice de confiance des acteurs économiques est reparti à la hausse en mars après trois mois de déclin.
Mais les inquiétudes persistent. La plus immédiate concerne la nomination du remplaçant de l'actuel gouverneur de la banque centrale, Erdem Basci.
Apprécié des marchés, M. Basci a résisté tant bien que mal aux pressions de M. Erdogan en faveur d'une réduction des taux d'intérêt pour relancer la croissance.
La nomination d'un successeur plus réceptif aux appels du pouvoir pourrait inquiéter les investisseurs. Une crainte nourrie par la décision jeudi de la banque de réduire l'un de ses taux directeurs, aussitôt interprétée comme une concession au pouvoir.
Cette décision "illustre l'impact de la politique sur les décisions de macroéconomie en Turquie", note M. Demir. Nommer à la tête de la Banque centrale un pro-Erdogan "va encore abîmer la confiance des investisseurs", conclut-il.