Chute des prix du pétrole et récession chez le partenaire russe portent un coup dur aux économies des ex-républiques soviétiques d'Asie centrale, où les régimes en place sont tentés de durcir encore leur politique pour consolider leur pouvoir malgré les turbulences.
Anna Kovaleva, retraitée de 63 ans au Turkménistan, en est bien consciente: si elle peut vivre avec une pension de moins de 250 euros, c'est grâce aux subventions de l'Etat qui rendent eau, gaz et électricité quasi gratuits.
"En 25 ans d'indépendance, notre pays a prouvé qu'il ne laissait pas tomber ses citoyens", assure-t-elle.
Ces aides, vitales pour bien des habitants du Turkménistan, sont le résultat d'années de taux de croissance mirobolants, pendant lesquelles les abondantes réserves de gaz ont financé une hausse du niveau de vie et un boom du secteur de la construction.
Mais pour ce pays isolé comme pour ses voisins d'Asie centrale aux populations très pauvres, la situation a radicalement changé ces derniers mois, au point que certains experts plaident pour une réduction de ces subventions pour maintenir leurs budget à flots.
"Presque tous les secteurs de l'économie en Asie centrale souffrent soit directement, soit indirectement de la faiblesse des prix du pétrole", constate Kate Mallinson, de la société de conseil londonienne GPW.
La déroute des marchés des hydrocarbures "a entraîné une inflation rapide et réduit les revenus réels, ce qui veut dire que le pouvoir d'achat de la population baisse", ajoute l'experte, interrogée par l'AFP.
La monnaie turkmène, le manat, a ainsi perdu un cinquième de sa valeur face au dollar l'an dernier, poussant le président Gourbangouly Berdymoukhamedov à limoger plusieurs ministres et à introduire des contrôles draconiens sur les échanges de devises étrangères.
- Manque d'investissements -
Mais avec un pétrole valant moins du tiers de son prix d'il y a deux ans, les autorités des pays de la région, plutôt que de lancer des réformes économiques, réagissent surtout par la répression afin de renforcer leur pouvoir.
Au Tadjikistan, dont la moitié de la population active travaille en Russie, le gouvernement a interdit un parti d'opposition accusé d'extrémisme, dont plusieurs membres doivent être jugés.
A 63 ans, le président Emomali Rakhmon, qui ne cesse de renforcer le culte de sa personnalité, a modifié la Constitution pour pouvoir se représenter sans limite du nombre de mandats. Des réformes sont aussi en cours au Turkménistan en vertu desquelles le chef de l'Etat, âgé de 58 ans, pourra briguer de nouveaux mandats sans limite d'âge.
Au Kazakhstan, aux vastes réserves d'hydrocarbures, les autorités se tournent vers des "mécanismes coercitifs" contre l'indépendance des médias et l'opposition, relève Nargis Kassenova, directrice du Centre d'Etudes sur l'Asie centrale à l'université KIMEP d'Almaty.
"Les produits alimentaires et les autres biens deviennent plus chers, les tarifs de l'électricité augmentent, les gens perdent leur emploi", explique cette experte. Elle relève par ailleurs la décision récente du gouvernement de puiser dans les fonds destinés aux retraites pour financer des investissements publics et soutenir l'économie.
Outre la crise économique frappant la Russie, la région subit aussi les effets du ralentissement de l'économie chinoise après des années de forts investissements de Pékin.
Au Kirghizstan, le Parlement a révoqué en début d'année un accord datant de 2012 avec des sociétés russes en difficultés pour construire des centrales hydroélectriques pour quatre milliards de dollars, le projet se trouvant au point mort.
Et en janvier, des entreprises de Corée du Sud et de Singapour se sont retirées de projets dans la pétrochimie au Kazakhstan et en Ouzbékistan représentant des milliards de dollars, invoquant la faiblesse des cours du pétrole.
Pour Eric McGlinchey, spécialiste de l'Asie centrale à l'université américaine George-Mason, l'élite politique et économique du Kazakhstan, qui a prospéré grâce à la manne pétrolière depuis le début du siècle, pourrait opter pour un renouvellement en accélérant le départ à la retraite du président Noursoultan Nazarbaïev.
Mais dans la région, les perspectives s'annoncent moroses, poursuit-il: si les prix des hydrocarbures restent faibles, "il deviendra impossible d'imaginer un scénario positif pour un pays comme le Turkménistan, tellement exposé à la crise actuelle".