Après une année exceptionnelle marquée par un plongeon de presque 50% des cours, 2015 devrait rester agitée pour l'or noir avec des prix bas propres à exacerber les tensions géopolitiques, malgré un possible rééquilibrage entre l'offre et la demande.
Déjà en forte baisse depuis l'été, les prix du baril ont souffert de la décision de l'Organisation des pays exportateurs de pétrole (Opep), en novembre, de conserver son plafond de production à 30 millions de barils par jour (mbj). Les cours des deux principaux bruts de référence, le Brent coté à Londres et le « light sweet crude » (WTI) côté à New York, ont chuté à leurs plus bas niveaux depuis 2009, autour de 60 dollars.
En adoptant le statu quo, le cartel a voulu envoyer un message aux marchés: il ne supportera plus seul le fardeau d'une réduction de la production pour soutenir les prix de l'or noir, déprimés par une offre beaucoup plus abondante que la demande.
Révolution du pétrole de schiste aux États-Unis où la production explose, retour sur le marché de plusieurs pays producteurs comme la Libye, consommation mitigée sur fond de croissance économique moins dynamique en Chine voire absente en Europe... Les facteurs se sont conjugués pour faire baisser les cours.
En 2015, le prix du brut devrait rester faible à cause d'une offre mondiale toujours surabondante, ce qui pourrait nourrir les disputes entre les pays producteurs, à commencer au sein de l'Opep.
Le Venezuela milite par exemple pour que le cartel diminue son objectif de production, tandis que l'Arabie saoudite s'y oppose, lasse de devoir supporter en grande partie les promesses de réduction de l'Opep.
La faiblesse des cours devrait en outre aiguiser les tensions à l'intérieur des pays dépendants des revenus pétroliers, par exemple en Irak où la coalition gouvernementale qui tente de stopper l'organisation Etat islamique pourrait souffrir d'une économie dégradée, estime Richard Mallinson, expert géopolitique chez Energy Aspects.
L'éventuelle remontée en puissance de l'Iran risque par ailleurs de complexifier l'échiquier. "L'Iran gagne de l'influence en Irak et ensemble ces deux pays pourraient concurrencer la production de l'Arabie saoudite dans les prochaines années", note l'expert Olivier Jakob, de Petromatrix.
Cela reste toutefois encore hypothétique car le Congrès américain pourrait accentuer encore les sanctions internationales qui pèsent sur Téhéran et l'ont contraint à exporter deux fois moins de barils.
- Rééquilibrage -
Un rééquilibrage pourrait néanmoins s'amorcer si la baisse des cours commençait à peser sur l'offre et à stimuler la demande. Car "le remède contre les prix bas du pétrole reste les prix bas du pétrole", soulignent les analystes de la banque UBS.
La chute des cours devrait notamment pousser les producteurs à réexaminer leurs investissements. La baisse des prix va "sérieusement mettre à l'épreuve la profitabilité de beaucoup de producteurs (américains), et va sûrement déclencher une réaction au niveau de l'offre à moyen terme", soulignent les experts de Commerzbank.
La production américaine s'est envolée ces dernières années grâce au pétrole de schiste, plus cher à extraire. Le nombre de nouveaux permis d'extraction aurait déjà commencé à reculer cet automne même si l'on devrait davantage constater un ralentissement de la croissance de l'offre plutôt qu'une baisse.
En revanche, "une réduction de la production de l'Opep n'est pas à exclure", selon M. Mallinson, à condition que d'autres pays producteurs (hors Opep) fassent de même.
Opep ou pas, des coupures de production imprévues sont possibles. Au Venezuela, la chute des revenus pétroliers a ainsi fortement tendu le climat social et politique. Quant à la Russie, déjà affaiblie par les sanctions occidentales et par un effondrement du rouble, elle pourrait devoir se résoudre à pomper moins, faute d'investissement.
- Une demande ravivée -
Côté consommation, le repli des cours devrait stimuler la demande et doper le trafic routier et aérien - quitte à élever les émissions de gaz à effet de serre, avant une négociation internationale cruciale sur le réchauffement climatique à Paris fin 2015.
D'après des calculs de Barclays, une baisse de 25% du prix du baril à court terme peut gonfler la demande totale de 0,5%. La banque table sur une augmentation plus rapide de la demande de la Chine l'année prochaine, le premier consommateur mondial de brut profitant de la baisse des prix pour gonfler ses stocks.
Mais globalement, "il pourrait se passer quelques mois, voire une année avant que les effets de la baisse des prix sur l'économie mondiale se voient", avertit Fawad Razaqzada de Forex.com. D'autant que règnent encore de "grandes incertitudes économiques", remarque Christopher Dembik, analyste chez Saxo Banque.
Et même si la baisse des prix est de nature à relancer la consommation, le niveau des stocks d'or noir est tel que l'effet sur les cours du pétrole ne sera pas perceptible avant la seconde moitié de 2015, estime M. Mallinson.