Le projet de fusion Bayer-Monsanto prend forme alors que les cultures OGM semblent reculer dans le monde, mais l'américain Monsanto pourrait receler d'autres atouts pour son acquéreur allemand, selon des experts.
Les cultures OGM, auxquelles Monsanto est inévitablement associé, ont marqué le pas en 2015 pour la première fois en 20 ans après avoir connu une croissance régulière, avait indiqué en avril dernier le rapport d'une ONG spécialisée, ISAAA (International Service for the Acquisition of Agri-biotech applications), association plutôt favorable aux OGM.
Cette réduction (de 1%, à 179,7 millions d'hectares) semble toutefois essentiellement conjoncturelle, causée par l'effondrement des cours de certaines matières premières agricoles, et est susceptible de s'inverser quand le niveau des prix remontera, selon l'ONG.
Cependant, de façon presque concomitante, le Burkina Faso, seul pays d'Afrique de l'Ouest à s'être lancé dans l'agriculture biotechnologique au début des années 2000, a opéré un virage à 180 degrés en annonçant renoncer au coton transgénique, non pour des considérations environnementales mais parce que ce mode de culture n'était pas rentable.
Et certains agriculteurs qui ont adopté le modèle Monsanto, couplant l'achat de semences OGM conçues pour résister à un herbicide spécifique et l'utilisation de ce même herbicide pour protéger leurs récoltes, critiquent eux-mêmes ce système.
"Le modèle OGM-produits phyto est moins intéressant aujourd'hui qu'avant", explique ainsi à l'AFP Silvesio de Oliveira, un agriculteur brésilien qui cultive 1.500 hectares de maïs et soja dans la région de Tapurah, dans l'état du Mato Grosso, première région productrice de soja et maïs du pays.
"Il y a 5 ans, je semais quasiment 100% de soja et maïs OGM. L'an dernier j'étais descendu à 60%", dit-il.
Il explique notamment que l'herbicide qui va avec les OGM, le glyphosate de Monsanto, ne tue plus toutes les mauvaises herbes, et qu'il est donc obligé d'en appliquer d'autres en plus, mettant en péril le modèle économique cher à Monsanto, d'autant que la productivité est, selon lui, devenue un peu meilleure dans le conventionnel que dans le transgénique.
Un argument balayé par un analyste, qui reconnaît que "la semence OGM est plus onéreuse", mais rappelle que l'année en cours est marquée, notamment aux Etats-Unis, pays qui utilise massivement des OGM, par des récoltes records: "le retour sur investissement en termes de rendements est énorme".
- Un acteur de demain -
Le débat est surtout, pour certains experts, caduc.
S'il rappelle "l'image très négative en Europe" de Monsanto, l'agronome et économiste Bernard Valluis pense que "cette période OGM est passée", dans la mesure où d'autres technologies changent l'offre.
Principale révolution à l'esprit de M. Valluis: les nouvelles techniques de sélection végétale dites NBT (new breeding techniques) qui, pour la plupart, visent à modifier durablement des plantes, via l'insertion de gènes qui ne sont pas conservés par leurs descendants.
"Les OGM, ce n'est qu'un tout petit bout de leur activité, voire un petit bout qui incarne le passé", renchérit Christian Huyghe, directeur scientifique "Agriculture" de l'Inra.
"Bayer, en achetant Monsanto, acquiert de quoi se permettre d'être un acteur de demain et certainement pas via les OGM", poursuit M. Huyghe. Il rappelle que "Monsanto a été le premier à investir massivement sur le biocontrôle (des alternatives naturelles aux pesticides), bien avant les gros investissements qu'on a aujourd'hui en Europe".
En décembre 2013, Monsanto s'est ainsi allié au danois Novozymes, numéro un mondial des enzymes alimentaires et industrielles. Le but: mettre au point des solutions basées sur des micro-organismes (bactéries, champignons...), afin de protéger les cultures contre les maladies et ravageurs, et augmenter la fertilité et la productivité des plantes.
Parallèlement, "Monsanto a acheté au cours des dernières années beaucoup d'éléments de propriété intellectuelle, a eu une vraie politique d'achat de brevets. Bayer, en en prenant le contrôle, se rend propriétaire d'un certain nombre d'innovations importantes", souligne aussi M. Valluis.
Enfin, Bayer et Monsanto, qui disposeront d'un budget global de recherche et développement d'environ 2,5 milliards d'euros si leur fusion est menée à bien, veulent également accélérer la numérisation de l'agriculture, un marché en pleine éclosion, avec le développement de systèmes permettant de collecter et d'exploiter au mieux une multitude de données recueillies au sein des fermes, pour en optimiser la production.