Ils travaillent la crème du bois, notamment pour la tonnellerie: les professionnels du chêne français se sentent menacés par l'extrême convoitise des importateurs asiatiques et un péril encore plus grave, le réchauffement climatique.
Le symbole de la forêt française a subi en quelques années "une explosion de l'export de ses grumes" (troncs d'arbres, NDLR), selon Nicolas Douzain-Didier, délégué général de la Fédération nationale du Bois.
Si le phénomène n'est pas nouveau, sa persistance préoccupe les professionnels qui préféreraient que la transformation du bois se fasse en France.
Principal coupable: la Chine, destination de 80% du chêne français exporté. "Nous sommes passés de 80.000 mètres cubes en 2007 à 600.000 en 2015, sur 2 millions disponibles environ", explique M. Douzain-Didier.
"On ne se bat pas avec les mêmes règles", déplore auprès de l'AFP Samuel Deschaumes, PDG de Centre Bois Massif, scieur florissant de chêne établi à Saint-Pierre-les-Étieux, dans le Cher, et qui s'approvisionne en majorité dans la grande forêt de Tronçais, distante de quelques kilomètres.
A quelques mètres du chef d'entreprise, une machine de levage manie des grumes de 300 kilos comme s'il s'agissait d'allumettes, ensuite écorcées par une fraise. Les troncs sont ensuite sciés avant de suivre un parcours lors duquel ils seront transformés en planches qui constitueront parquet, bois de terrasse et autre plan de travail.
"Quand vous achetez du parquet en France pour le poser en Chine, vous avez 100% de taxes, quand vous achetez une grume, vous avez 7%. Comment voulez-vous lutter contre une telle machinerie financière ?", s'interroge auprès de l'AFP Nicolas Douzain-Didier.
- Des scieries mises au ban -
"La pression est très loin de retomber", note M. Deschaumes, inquiet, car à côté de la Chine, de nouveaux concurrents sont apparus: "le Vietnam, la Thaïlande commencent à prendre de la place".
Mais des mesures prises par la France commencent à porter leurs fruits.
Il y a deux ans, le ministère de l'Agriculture a mis en place le label UE, qui oblige les entreprises à scier leur bois dans l'Union européenne.
En 2016, cette politique aurait sauvegardé 100.000 mètres cubes pour la transformation française, estime M. Douzain, réduisant un peu au passage le déficit commercial régulièrement imputé au bois français.
"Les exportations de grumes vers la Chine diminuent. En parallèle, les exportations de bois transformé augmentent", se félicite Véronique Borzeix, du ministère.
Les contrôles menés dans des entreprises françaises ont conduit huit d'entre elles à ce jour à être suspendues. Pour ne pas avoir transformé leur bois en Europe, elles ont été exclues des ventes de l'ONF qui gère les plus belles forêts de la chênaie de France, la plus grande d'Europe et la deuxième au monde, derrière les Etats-Unis.
Outre ce label, l'ONF conclut depuis peu des contrats d'approvisionnement en direct avec les scieurs français pour sécuriser une partie de la matière première, une initiative qui fait grincer des dents certains acteurs qui y voient une concurrence déloyale car ils ont moins de choix pour leurs achats.
- L'inconnue du réchauffement -
Mais une menace d'un autre ordre fait autrement frémir les amoureux du chêne français: le réchauffement climatique.
"L'inquiétude c'est la vitesse du phénomène", souligne auprès de l'AFP Luc Bouvarel, directeur général de Fransylva, syndicat des forestiers privés de France. Outre le renouvellement de la forêt, c'est le peuplement actuel qui est déjà menacé, compte tenu notamment du temps de croissance du chêne qui peut facilement atteindre les 200 à 250 ans.
Le chêne pédonculé, une des principales variétés de chêne français, a notamment "du mal à accepter deux mois d'été sans précipitation, plusieurs années de suite", s'inquiète M. Bouvarel.
"On a localement quelques difficultés sur certains massifs à régénérer correctement nos peuplements de chênes", abonde Benoît Fraud, chef du département commercial bois à l'ONF.
Si selon lui le chêne sessile, espèce phare de la tonnellerie, "résiste beaucoup plus à des conditions sèches", le sort du chêne pédonculé est préoccupant de par son rôle structurant dans de nombreux massifs forestiers.
Outre les travaux de recherche génétique de l'Inra, le salut pourrait venir du chêne pubescent, plus répandu dans le sud de la France et donc susceptible de mieux résister à la chaleur.
"La grande inconnue est la stratégie de renouvellement des essences adaptée à chaque zone géographique, personne ne sait répondre à cette question aujourd'hui", prévient Nicolas Douzain-Didier.