Un partisan de l'assouplissement monétaire, Haruhiko Kuroda, prend la tête dans cinq jours de la Banque du Japon pour y mettre en musique l'agenda volontariste du Premier ministre de droite, Shinzo Abe, et mettre un terme rapide à une déflation empoisonnante.
Présentée par le gouvernement, la candidature de M. Kuroda a été validée vendredi par les sénateurs, après avoir été acceptée jeudi par les députés. A 68 ans, il prendra ses fonctions juste après avoir quitté la présidence de la Banque asiatique du développement.
Avec ses deux adjoints confirmés aussi vendredi, l'universitaire Kikuo Iwata (bien Iwata) et le haut fonctionnaire de la Banque du Japon (BoJ) Hiroshi Nakaso, M. Kuroda va rejoindre un institut d'émission sous pression, sommé par le nouvel exécutif conservateur d'ouvrir davantage le robinet à liquidités.
Depuis leur arrivée au pouvoir fin décembre à la faveur du triomphe électoral de leur Parti Libéral-Démocrate (PLD), M. Abe et ses ministres n'ont pas ménagé leurs critiques à l'égard de la BoJ accusée de timidité face à la baisse des prix.
Soumise aux demandes répétées de l'exécutif, la BoJ, statutairement indépendante, a finalement accepté en janvier de relever à 2% son objectif d'inflation annuelle (au lieu de 1%), afin de montrer à tous (gouvernement, marchés, public) son intention de faire davantage contre ce frein à l'activité vieux d'une quinzaine d'années.
M. Kuroda s'est engagé début mars à atteindre cet objectif "dès que possible", lors d'une audition parlementaire préalable aux votes de jeudi et vendredi, évoquant l'horizon 2015.
"C'est bien", s'est réjoui le ministre des Finances Taro Aso en prenant connaissance du feu vert parlementaire. Il a tout de suite appelé la BoJ à "travailler pour atteindre rapidement" l'objectif d'inflation fixé.
M. Kuroda a martelé ces dernières semaines qu'il fallait accroître les dispositifs d'assouplissement monétaire, pourtant déjà inédits par leur ampleur, mis en place par l'institut sous la gouverne de son prédécesseur, Masaaki Shirakawa.
D'après la presse nippone, M. Kuroda voudrait convoquer peu après sa prise de fonction une réunion extraordinaire des neufs membres du comité de politique monétaire de la BoJ (le nouveau gouverneur, les deux nouveaux adjoints et les six autres responsables déjà en place).
Il pourrait tenter d'y faire adopter une accélération du programme d'achat d'actifs financiers de la BoJ, afin d'intensifier la circulation de liquidités sur le marché financier et doper l'activité de la troisième puissance économique mondiale --bien que le gouverneur sortant Shirakawa ait publiquement douté vendredi de l'efficacité de cette politique si elle est conduite toute seule.
La rhétorique volontariste de M. Abe et l'attente d'une politique encore plus souple de l'institut d'émission ont déjà entraîné une ruée des investisseurs sur le marché des actions, faisant bondir l'indice Nikkei de la Bourse de Tokyo de plus de 40% en quatre mois.
Pour les mêmes raisons, le yen qui évoluait à des niveaux records de vigueur a chuté, au grand bonheur des groupes exportateurs japonais : entre novembre et mars, le dollar a gagné 20% face au yen et l'euro 25%.
Cette dévaluation de fait a fait grincer des dents hors de l'archipel, particulièrement en Europe plongée dans la récession, car la compétitivité des produits nippons s'en trouve renforcée.
Tenu par les engagements internationaux du Japon de ne pas manipuler sa monnaie, M. Kuroda a fermé la porte à tout achat de bons du trésor étrangers, une option parfois évoquée parmi les économistes et les politiques pour créer de l'inflation.
Il pourra en outre difficilement réduire le taux directeur de la BoJ, déjà à un niveau quasi nul, compris entre 0,0% et 0,1%, aussi devra-il faire preuve d'ingéniosité pour ne pas décevoir les immenses attentes des marchés et éviter à la récente embellie financière de retomber comme un soufflé.