Si le Venezuela tombe en défaut de paiement, "ce qui est sûr, c'est que nous aurons beaucoup plus faim", se lamente Luber Faneitte, fonctionnaire de 56 ans qui souffre déjà durement des conséquences de la crise économique.
Au 18e étage d'un immeuble délabré du centre de Caracas, cette femme aux cheveux bruns et au regard triste ouvre son réfrigérateur pour montrer qu'à l'intérieur, il n'y a que de l'eau.
Luber incarne à elle seule une grande partie des maux du pays pétrolier, autrefois le plus riche d'Amérique latine, mais désormais ruiné: elle n'arrive plus à soigner son cancer faute de médicaments, peine à trouver de quoi manger et cherche à se protéger de la violence de son quartier.
Pendant ce temps, le gouvernement a du mal à rembourser ses emprunts et pourrait bientôt être en défaut de paiement sur sa dette extérieure, estimée à 150 milliards de dollars.
"Je ne sais pas si (le défaut) est ce qu'il faut au Venezuela pour enfin ouvrir les yeux" sur son naufrage économique, se demande Luber. Mais "ce qui est sûr, c'est que nous aurons beaucoup plus faim et nous serons davantage dans le besoin".
Chez elle, on a renoncé à consommer de la viande, devenue inaccessible dans ce pays où l'inflation dépassera 2.300% en 2018 selon le FMI.
Pour se nourrir, Luber dépend des sacs d'aliments à tarifs subventionnés fournis par le gouvernement une fois par mois pour compenser les pénuries.
Le dernier sac contenait deux kilos de haricots rouges, un kilo de riz, deux litres d'huile, un kilo de lait en poudre et quatre kilos de farine. Il est déjà vide car Luber vit avec une fille et trois petits-enfants.
En arrêt maladie en raison de son cancer du poumon, elle perçoit un peu moins que le revenu minimum (environ 8,7 dollars par mois).
Selon l'ONG Cendas, en septembre, il fallait six salaires minimums pour pouvoir acheter le panier de base de la ménagère.
Ne pouvant subvenir à ses besoins, Luber a confié un fils handicapé à des proches.
- Remèdes maison -
Même si elle n'a rien à cuisiner, elle laisse le feu de la plaque allumé pour ne pas avoir à acheter des allumettes et le robinet, défectueux, couler jour et nuit, faute d'argent pour le réparer.
Luber peut se le permettre, car au Venezuela l'eau, le gaz et l'électricité sont à des tarifs proches de zéro... à l'inverse des aliments qui sont à des prix prohibitifs, quand ils ne sont pas simplement manquants.
Les médicaments aussi sont introuvables, pour 90% d'entre eux selon la Fédération pharmaceutique. Découragée, Luber a abandonné la chimiothérapie en janvier.
"Un seul comprimé est vendu 5.000 bolivars et il m'en faut un par jour, je ne peux pas me le permettre", raconte-t-elle, car elle dépenserait ainsi un tiers de son revenu mensuel.
Alors, au lieu de chimiothérapie - l'unique traitement efficace dans son cas, selon les médecins -, elle se prépare des remèdes maison.
"Je prends un flacon et je mets de la liqueur de canne à sucre, du miel et de l'aloe vera. Je le laisse dehors deux jours et puis j'en prends une petite cuillère le matin, une autre le soir", explique Luber. "Je sens que je respire mieux quand je prends ça."
Fumeuse depuis ses 15 ans, elle est vite essoufflée quand elle parle ou elle marche. Elle a déjà eu trois crises cardiaques.
Elle se rappelle quand le défunt Hugo Chavez (président de 1999 à 2013) dénonçait que les pauvres devaient manger de la nourriture pour chiens: "Moi j'ai envie de manger ça à nouveau", dit-elle avec ironie.
Autre fléau, la violence. Sur les murs de son immeuble, les impacts de balles trahissent les guerres entre bandes rivales. Pour se protéger, Luber a éloigné des fenêtres les lits de son appartement.
Avec plus de 21.000 homicides en 2016 (70,1 pour 100.000 habitants), le Venezuela est l'un des pays les plus dangereux au monde.
"Je suis résignée", résume amèrement Luber, "face à la volonté de Dieu".