En s'engageant vendredi à reprendre 35 milliards d'euros de dette de la SNCF, le gouvernement a levé une hypothèque qui pesait sur l'avenir du groupe ferroviaire mais crée de nouvelles inconnues pour les finances publiques.
De quelle dette parle-t-on?
La dette de la SNCF, qui s'est fortement accrue ces dernières années, s'élève à 55 milliard d'euros. Mais cette somme recouvre en vérité deux dettes, qu'il ne faut pas additionner.
La première, de 7,9 milliards d'euros, concerne SNCF Mobilité, entité du groupe public chargée de la circulation des trains, dont les comptes sont sains. La seconde, de 47 milliards d'euros, concerne le gestionnaire des infrastructures: SNCF Réseau.
C'est cette dette qui pose problème et que l'Etat s'est donc engagé à reprendre - partiellement - dans le cadre de sa réforme ferroviaire, pour assainir financièrement l'entreprise publique.
La SNCF s'est en effet massivement endettée pour développer le réseau ferroviaire, notamment avec les lignes à grande vitesse. Et ces efforts ont fragilisé durablement l'entreprise, qui doit acquitter chaque année 1,5 milliard d'euros d'intérêts.
Pourquoi pose-t-elle problème?
Principalement en raison de son montant, jugé insoutenable. La dette de SNCF réseau représente en effet près de 25 fois sa marge opérationnelle, et plus de 7 fois son chiffre d'affaires.
Cet endettement est par ailleurs problématique parce qu'il n'est pas stabilisé: en raison des déficits structurels de l'entreprise, la dette de SNCF Réseau augmente de 2,5 milliards d'euros chaque année.
Elle est enfin incompatible avec le futur statut de la SNCF, qui va perdre le monopole dans les services ferroviaires de transport de voyageurs d'ici 2021, en vertu de l'ouverture à la concurrence décidée par le Parlement européen.
Le statut actuel (Etablissement public à caractère industriel et commercial) donne la garantie illimitée de l'Etat et lui permet de s'endetter sans problème. Son futur statut (société anonyme) en fera une entreprise comme les autres sur les marchés.
Comment sera-t-elle reprise?
Sur les 35 milliards prévus, 25 milliards seront repris en 2020 et 10 milliards en 2022. "Cette reprise constitue un engagement sans précédent de la nation et du contribuable en faveur de la SNCF", a souligné le Premier ministre, Edouard Philippe.
Selon une source proche du dossier, les 35 milliards d'euros - équivalent à 1,6% du produit intérieur brut français - seront transférés dans une structure de cantonnement accrochée au budget de l'Etat.
"Je veux aussi que la dette reprise soit mise en évidence dans les comptes de la Nation, afin que les Français sachent exactement ce qu'ils paient pour leur système ferroviaire", a assuré Edouard Philippe.
Le Premier ministre a assuré qu'il n'y aurait "pas d'impôt SNCF" pour compenser cette reprise de dette. Ce sera malgré tout "une charge supplémentaire pour le contribuable", puisqu'elle "viendra s'ajouter à la dette publique", a-t-il ajouté.
Quel sera l'impact sur le déficit?
Les choses sur ce point ne sont pas claires. En théorie, la reprise de la dette entraînera une forte hausse du déficit public l'année où elle sera effective. A savoir une hausse de un point de PIB en 2020, et de 0,4 point de PIB en 2022.
Mais selon une source gouvernementale, la dette de la SNCF pourrait être intégrée à la dette de l'Etat (actuellement de 96,8% du PIB) sans grever au préalable le déficit public, contraint par la fameuse règle des "3%".
La reprise de la dette pourrait donc être considérée par Bruxelles comme une mesure temporaire (un "one-off", dans le jargon européen). Et éviter à la France une nouvelle entorse aux règles communautaires.
Si cette lecture comptable n'était pas retenue, "des marges de manoeuvre existent" pour que la règle des 3% soit respectée, insiste la source gouvernementale.
La trajectoire budgétaire de Bercy prévoit en effet un déficit de 0,9% en 2020, puis un excédent de 0,3% en 2022. En intégrant la reprise de la dette, le déficit serait de 1,9% en 2020 et 0,1% en 2022, un dérapage donc, mais contrôlé.
Quant à l'impact sur l'endettement public, il devrait être lui aussi limité, une partie de la dette de la SNCF, de l'ordre de 11 milliards d'euros, étant déjà comptabilisée dans les comptes publics nationaux.