Les Français n'ont jamais autant épargné depuis sept ans en dépit de la progression de leurs revenus, une "épargne de précaution" sur laquelle ils préfèrent miser face à la hausse du chômage.
Au troisième trimestre, le taux d'épargne des ménages atteint 17% des revenus, un record depuis la fin de l'année 2002 et un score rarement atteint au cours des dernières décennies. Il faut ensuite remonter au premier trimestre 1983 pour retrouver un tel niveau, selon les chiffres de l'Insee.
L'équation est simple: entre juillet et septembre, les revenus disponibles ont augmenté de 0,8% et le pouvoir d'achat de 0,6%. Mais les dépenses de consommation sont loin d'avoir absorbé le surplus, avec une progression limitée de 0,4%. D'où un nouveau bond de l'épargne des ménages, en constante hausse depuis un an.
Face à la hausse du chômage et même s'ils ne sont pas directement touchés, les Français ont tendance à faire de "l'épargne de précaution", explique pour l'AFP Eric Heyer, économiste de l'Observatoire français des conjonctures économiques (OFCE). A l'inverse, entre 2002 et 2008, quand le chômage avait reculé, le taux d'épargne avait baissé, rappelle-t-il.
"Les consommateurs sont aussi des salariés, inquiets pour leur emploi. Ils constatent que, dans leurs entreprises, investissement et dépenses sont remis au lendemain. Ils vivent au quotidien la prudence de leurs employeurs", avance aussi Eric Bigot, du Credoc, cité dans Le Figaro.
Signe de leur précaution, les Français ont d'ailleurs plébiscité cette année les placements les plus sûrs, souvent moins rémunérateurs, comme le livret A et l'assurance-vie.
Autre facteur d'explication, la compensation de la baisse du patrimoine des ménages. "Avec la crise, les Bourses se sont effondrées et les prix immobiliers chutent. Les ménages se sentent moins riches et reconstituent" de l'épargne, estime M. Heyer.
Par ailleurs, avance Cyril Blesson, créateur des Cahiers de l'épargne et économiste de Seeds Finance, "vous avez un ralentissement très manifeste du crédit, qui fait mécaniquement remonter l'épargne".
De quoi conforter la place de la France au classement des pays qui épargnent le plus, loin devant l'Allemagne (avec 9,7% à la fin du troisième trimestre) et surtout les Etats-Unis où le taux de 4,7% en novembre fait figure de niveau relativement élevé par rapport aux habitudes américaines.
La France incarne en effet un modèle où les ménages mettent de côté leurs économies quand l'Etat s'endette beaucoup, contrairement aux pays anglo-saxons traditionnellement marqués par un fort endettement des ménages, rappelle M. Heyer.
Et la tendance ne devrait pas s'inverser durablement. Certains experts estiment certes que les ménages ont puisé dans leurs réserves en fin d'année, notamment pour payer leur nouvelle voiture, dans le cadre du dispositif de prime à la casse. Mais l'an prochain, ce taux devrait rester relativement stable, comme le prédit l'OFCE qui prévoit 16,8%. "C'est une grosse menace sur la reprise", avertit Cytil Blesson.
Ces derniers mois, la France est sortie de la récession, essentiellement grâce à la consommation. Mais la hausse du chômage, la remontée prévisible de l'inflation, et la fin des dispositifs de relance exceptionnels comme certaines prestations sociales ou baisses d'impôts risquent de peser sur les dépenses des ménages.