"Si vous me dites qu'il y a un autre travail à prendre, je pars avec vous !" Les genoux immergés dans une eau boueuse, Alphonse s'interrompt un instant pour raconter les détours de la vie qui ont fait de lui un mineur clandestin.
"J'étais dans le commerce" à Lubumbashi, capitale du Katanga, la grande province minière du sud-est de la République démocratique du Congo, dit-il.
Il y a huit ans son affaire périclite et, faute de trouver un emploi, il rejoint le monde des "creuseurs artisanaux", ces damnés de la terre qui cherchent dans le riche sous-sol katangais de quoi survivre.
Ils seraient environ 130.000 comme lui à extraire chaque année au Katanga l'équivalent de 7.000 tonnes de cuivre pur et autant de cobalt, deux minerais dont la RDC, pays parmi les moins développés au monde, est l'un des premiers producteurs.
Quelque part entre Lubumbashi et Kolwezi, grand centre minier du sud du Katanga, Alphonse (les prénoms ont été changés) et une cinquantaine de ses compagnons d'infortune s'affairent autour d'un remblai proche d'une carrière cachée au milieu d'une forêt claire.
Les abords sont filtrés par des gardes plus ou moins vigilants. Une fois les barrages passés, une équipe de l'AFP a dû gagner la confiance d'un cerbère congolais, Bobby, qui se présente comme le responsable de l'exploitation et qui n'est pas ravi de voir apparaître des journalistes.
"C'est pas +Katanga Business+ votre truc ?" lance-t-il d'emblée en faisant référence à un documentaire du cinéaste belge Thierry Michel sur les relations conflictuelles entre les creuseurs artisanaux et les groupes étrangers devenus maîtres des richesses locales.
Les gens connaissent l'endroit comme "Chez Monsieur Fernand". En réalité, dit Bobby, la mine appartient à un proche d'un haut dirigeant congolais et est exploitée en partenariat avec des Chinois.
Lui-même "autorise" les creuseurs à exploiter le remblai, mais ses patrons n'en savent rien. En échange, dit-il, les creuseurs lui laissent "une partie" de leur production, 30% si l'on en croit ceux-ci.
- Comptoir chinois -
La terre brun ocre a un air d'emmental. A la surface, de petits chemins dessinent les parcelles des uns et des autres, où l'on s'enfonce à la pelle, à la pioche ou à la barre à mine.
Certains sont déjà à plus de trois mètres sous la surface. On travaille ici depuis près de trois mois. Dans quelques semaines, le remblai aura été englouti et il faudra aller creuser ailleurs.
Le mélange de terre et de rocailles est transporté à dos d'homme jusqu'à la rivière en contrebas.
"On travaille par équipe de trois ou quatre", explique Dieudonné, "on s'arrête quand on est épuisés, on se repose une journée et on revient".
Si l'extraction est une affaire d'hommes uniquement, à la rivière, des femmes et des enfants aident pour le "lavage". Alphonse fait équipe avec son épouse et deux de ses filles, de 15 et 8 ans.
Âgé d'une quarantaine d'années, Alphonse en paraît bien dix de plus. A côté de lui, Henri, 30 ans, agite dans l'eau une nasse emplie du mélange extrait du remblai afin d'enlever un maximum de terre.
Alphonse en est au stade suivant : la séparation gravimétrique. Dans l'industrie, l'opération est réalisée par des machines élaborées. Ici tout se fait à la main sous un soleil relativement clément en ce début d'hiver équatorial, la "saison fraîche".
A l'aide d'un plateau en bois, qu'il remue en affleurant la surface de l'eau, il sépare le cobalt des autres éléments. Plus dense, le cobalt retombe au fond. Il reste à enlever la couche supérieure pour faire sécher le minerai noir qui contient 6 à 7% de cobalt avant de le mettre en sac.
La production sera vendue à quelques kilomètres, à un comptoir tenu par "des Chinois", qu'on accuse de truquer les instruments de mesure.
"On accepte leur prix, on n'a pas le choix", dit Ernestine, la femme d'Alphonse.
Les moins bien lotis disent gagner 7.000 à 8.000 francs congolais (6,7 à 7,6 euros) par jour. Alphonse affirme pouvoir gagner jusqu'à quelques centaines de dollars par semaine pour sa famille.
De toute évidence, l'affaire est plus rentable pour Bobby. Celui-ci s'apprête d'ailleurs à lever les voiles et à se mettre à son compte.