La mythique avenue centrale de Marseille, la Canebière, s'offre une seconde jeunesse pour ses 90 ans. Un dimanche par mois, l'artère bruyante devient piétonne et accueille sur ses larges trottoirs concerts, spectacles et marchés.
De grandes girafes rouges en papier, clin d’œil à leur ancêtre au long cou offerte à Charles X par le vice-roi d’Égypte et débarqué à Marseille en 1826, y ont déambulé en fanfare le 29 janvier pour le lancement des "Dimanches de la Canebière".
En 1927, lorsque la rue Noailles et les allées de Meilhan ont été réunies et que la Canebière a vu le jour sous sa forme actuelle, "il s’agissait d’un lieu de promenade, avec de nombreux commerces", raconte Elisa Maître, doctorante en urbanisme et aménagement de l'espace.
Bénédicte Sire, comédienne et réalisatrice, Marseillaise d'adoption, se passionne pour les trésors cachés du centre-ville, comme cette cave, au sous-sol d'un restaurant turc, qui a vibré dans des concerts de jazz des années 30. A cette époque, "la Canebière était la plus belle avenue du monde, les artistes y passaient tous avant d'embarquer dans le Vieux-Port pour New York", raconte-t-elle lors de balades urbaines.
Le Marseille des années folles, c'était "plus de 100 cinémas, des grands hôtels, une vie sociale et culturelle intense entre 1860 et l'entre-deux guerre". Du Vieux-Port, en bas de la Canebière - le cannabis en provençal (Marseille était un grand comptoir de chanvre)- jusqu'à la place des Réformés, les grands hôtels haussmanniens, les boutiques de luxe se succédaient.
Aujourd'hui ils hébergent l'enseigne C&A ou le commissariat de Noailles. A partir des années 1960, l'avenue s'est paupérisée et le "Broadway marseillais" dont rêve Sabine Bernasconi, maire LR du 1er et du 7e arrondissements, paraît bien terne, vu de la place triangulaire des Réformés, dont la fontaine hors-service fait face à des institutions comme la pâtisserie Plauchut et la librairie Maupetit, mais aussi une enfilade de magasins de déstockage et de téléphonie.
-"du pain et des jeux"-
"C'est vrai qu'il y a bien trop de magasins discount", constate Mme Bernasconi, tout en assurant que les "dimanches" sont "une première étape pour changer l'état d'esprit et l'image du centre-ville", boudé par les Marseillais des quartiers Sud.
Pour Benoit Payan, conseiller municipal PS, les "dimanches", "c'est une bonne idée mais ce n'est pas suffisant, c'est un peu +du pain et des jeux+, et le dimanche soir la Canebière redevient glauque et sale", assène-t-il.
Dominique Bluzet, directeur de trois théâtres (Le Gymnase-Les Bernardines à deux pas de la Canebière, le Jeu de Paume et le Grand théâtre de Provence à Aix-en-Provence), déplore lui aussi "la saleté, problème majeur", et l'attitude de "commerces qui ne jouent pas le jeu". Il croit cependant que l'avenue est sur la bonne pente: "aujourd'hui il y a une nouvelle population plus jeune qui s'installe et qui est en demande d'endroits où sortir". "Il y a encore un bâti très intéressant, mais surtout des théâtres, des librairies, une faculté...", explique-t-il.
Sabine Bernasconi qui veut que la Canebière redevienne "la promenade familiale", énumère ses atouts: "la jeunesse avec 10.000 étudiants, 80 acteurs culturels, les plus vieux commerces de la ville, une adresse internationale..."
La mairie de secteur ne manque pas d'idées pour redorer le blason de l'avenue: la construction d'un complexe de cinémas notamment, ou encore un hôtel 4 étoiles. Mme Bernasconi espère surtout attirer "des acteurs de la nouvelle économie pour faire du centre-ville un +living-lab+ où s'installeraient des start-ups du numérique".
"Des années 60 jusqu'au début des années 2000, on a eu l'idée qu'on pouvait réhabiliter la Canebière, renouer avec son glorieux passé. On ne retrouvera jamais ça et ce ne serait pas intéressant", tranche Dominique Bluzet. Lui mise plutôt sur "l'inventivité". Il a ainsi eu l'idée de faire peindre de grandes fresques sur les rideaux métalliques de commerces fermés.
Pour Bénédicte Sire, cette succession de mues fait le caractère unique de cette avenue. En témoigne l'improbable snack-kebab dans lequel Mostafa Ragheb, le propriétaire, a découvert, en faisant tomber un mur de contreplacage, des panneaux en céramique représentant la fondation de Marseille, datés de 1895.