Entamée avec le printemps arabe, la crise n'en finit pas pour les voyagistes français. Contraints, ils revoient progressivement leur modèle, alors que les ventes se sont encore érodées cette année et que la saison d'hiver a mal démarré.
Entre novembre 2013 et fin octobre 2014, les 70 voyagistes du Syndicat des entreprises du Tour Operating (Seto) ont perdu plus d'un demi-million de clients et 5,1% de volume d'affaires, retombant à 5 milliards d'euros, selon leur bilan annuel publié mardi à Deauville.
Club Med, Transat France, Marmara, Fram, Voyageurs du Monde, Nouvelles Frontières... ont fait voyager 6,45 millions de personnes, contre 6,97 millions sur l'exercice 2013 (-7,5%).
La baisse pour les voyages incluant vol et séjour, coeur de métier des tour-opérateurs, se limite toutefois à 3,8% en nombre de clients (4,1 millions) et 2% en volume d'affaires (4,13 milliards d'euros).
"La saison d'hiver a été négative mais l'été pas trop mal en fin de compte", avance le président du Seto, René-Marc Chikli.
Les ventes des séjours-clubs au mois d'août ont très bien marché. Même chose sur l'année pour les produits de niche comme les séjours individuels "différenciants". Ou pour les croisières, dont les itinéraires peuvent être modifiés pour contourner des troubles dans une région.
Mais globalement, "d'hiver en hiver depuis trois ans, on voit un vrai décrochage des départs des Français à l'étranger", dit Jean-François Rial, PDG de Voyageurs du Monde.
Les ventes du Seto en 2014 ont plus peiné vers l'étranger (-8,7%) qu'en France (-1,9%), qui reste la destination numéro un, la crise économique poussant nombre de consommateurs à serrer les cordons de la bourse.
"Beaucoup de clients qui partaient auparavant en Tunisie ou au Maroc à des prix avantageux ne partent plus du tout à l'étranger", note Patrice Caradec, PDG de Transat France (Vacances Transat, Look Voyages...)
Les ventes vers le monde arabe pâtissent toujours des troubles géopolitiques, Egypte en tête mais aussi Maghreb, où la décapitation d'un otage français en Algérie et les conseils de vigilance du Quai d'Orsay ont plombé l'arrière-saison et la Toussaint.
Les destinations lointaines, plus chères, ont aussi souffert. L'Asie a fait les frais des évènements en Thaïlande. L'Afrique a subi la peur du virus Ebola (Senegal, Cap Vert...) et les Antilles, du chikungunya.
"Au moindre soubresaut, les Français, plus frileux que les autres, recherchent la sécurité", note M. Chikli.
Aussi l'Europe du Sud est-elle la grande gagnante de l'année: Espagne (Iles Canaries incluses), Grèce, Italie, Madère, Chypre...
- Perspectives incertaines -
"On a doublé nos ventes sur l'Espagne en trois ans", témoigne le patron de Transat France, qui ouvre de nouveaux clubs à Fuerteventura (Canaries) et à Minorque (Baléares).
Marmara fait désormais en Espagne 20% de son chiffre d'affaires, n'a plus rien en Egypte et a réduit la voilure en Tunisie.
Dans ce tableau contrasté, le Seto souligne qu'une partie de la baisse d'activité est voulue: les voyagistes réduisent depuis deux ans leurs capacités d'affrètement vers certaines destinations (République dominicaine...), ils "ajustent au plus serré" pour éviter d'avoir à brader des stocks en dernière minute et maintenir une meilleure rentabilité.
Transat France affrète ainsi 20 à 30% de capacités en moins, selon son patron.
La recette moyenne par client a ainsi augmenté de 2,6% pour les membres du Seto et les ventes de billets d'avions seuls, qui permettent d'écouler des stocks invendus, ont sensiblement reculé.
Par ailleurs, nombre de tour-opérateurs dont Marmara ou Fram ont repensé leur offre, délaissant des destinations non rentables pour se tourner plus vers l'Europe du Sud.
Pour autant, les perspectives sont incertaines. "On entre dans un hiver extrêmement compliqué", "sans visibilité", a prévenu le président du Seto, qui "espère que l'été 2015 sera bon".
Les réservations cumulées pour l'hiver sont en baisse de 9,3%.
Les gens réservent de plus en plus tard, note M. Chikli.
Et, tendance inexorable, ils s'organisent de plus en plus seuls grâce à internet.
Aujourd'hui, sur les séjours incluant un billet d'avion, les tour-opérateurs conservent environ un tiers des parts de marché, contre plus de la moitié au milieu des années 2000, estiment M. Caradec et le patron de Nomade Aventure, Alain Capestan.