Les jets privés ne sont plus l'apanage d'une élite ultrafavorisée: plusieurs start-ups françaises tentent de faire décoller le marché encore embryonnaire de la vente à l'unité de places à prix cassés.
La dernière-née s'appelle Le Jet et a été lancée en avril. Elle promet deux liaisons hebdomadaires Paris - Londres dès novembre, pour un prix d'appel de 490 euros HT la place, quand la réservation intégrale d'un jet coûte plusieurs milliers d'euros.
L'objectif est d'attirer les patrons de PME ou les cadres qui circulent habituellement sur des lignes régulières ou en Eurostar.
"Un train en première classe pour Londres, c'est 2h15 de trajet pour 310 euros. Nous proposons un gain de temps et de qualité pour un coût légèrement supérieur, en échappant aux problèmes de grève ou de retard", explique Christophe Ducluzeau, à l'origine de l'initiative.
Pour contourner des taxes d'aéroport trop élevées, Le Jet, qui décolle du Bourget, atterrira toutefois à Biggin Hill, à 18 km du centre ville de Londres, puis proposera un service complémentaire de VTC.
A la tête d'une entreprise de ressources humaines en Charentes, Christophe Ducluzeau expérimente son projet depuis avril sur des liaisons Cognac-Paris ou Angoulême-Paris vendues pour près de 600 euros, en jouant le rôle d'affréteur auprès de compagnies aériennes comme Valljet.
Sur place, les premiers utilisateurs jugent les prix encore trop élevés à l'échelle d'une PME. Jean-Pierre Précigout, directeur d'une agence de communication, était par exemple "très satisfait" de ses deux premiers vols pour " deux gros rendez-vous à ne pas manquer", mais il confie à l'AFP espérer une baisse des tarifs avant de s'engager plus régulièrement.
Autre limite, la perte de certains avantages associés traditionnellement à l'usage d'un jet: la flexibilité et la confidentialité.
"Nos clients organisent leurs réunions stratégiques pendant le vol. Et ils veulent aussi pouvoir décaler ou annuler à tout moment un trajet. Qui est décisionnaire quand les passagers appartiennent à des sociétés différentes ?", s'interroge Mehdi Dialmy, directeur des opérations de PrivateFly, un portail de location traditionnelle de jets.
- Vendre les places des vols à vide -
Pour obtenir des prix compétitifs, Le Jet et Cojetage, lancé en 2011, commercialisent des places sur les vols à vide, quand un jet rentre à son aéroport de stationnement après avoir déposé un client à l'étranger. Les possibilités sont nombreuses puisque près de la moitié des jets circulent sans passager.
Pour l'usager, tout se passe sur le site internet de la start-up où il réserve un billet unique avant d'embarquer avec d'autres clients comme lui. Chez Cojetage, il n'y a ni horaires ni tarifs réguliers, il faut donc rester à l'affût pour s'acheter le Londres - Genève proposé ces derniers jours à 600 euros.
Dernière solution, tournée cette fois vers une clientèle loisirs: le coavionnage. Un pilote privé propose des places à bord de son appareil d'aviation légère contre une participation aux frais. Deux jeunes polytechniciens de 21 et 23 ans viennent de lancer Wingly sur le modèle de Blablacar pour le covoiturage.
Ce service vise les passionnés d'aviation et les touristes qui pourront effectuer une promenade aérienne pour une somme allant de 20 à 130 euros.
Pour ces jeunes entreprises du numérique, l'un des enjeux sera de faire évoluer l'image du jet ou de l'avion privé associée au luxe et à la richesse exubérante.
Il faudra surtout trouver rapidement un modèle économique. En proposant des places dans des avions privés, Wingly n'a par exemple pas le droit de faire payer à ses clients des frais supérieurs aux coûts de vol et reste sous la menace d'un durcissement de la législation sur le coavionnage, une pratique que la Direction de l'aviation civile juge "risquée".
Pour Le Jet, "un remplissage quasi complet est nécessaire, puisque sur un vol de huit places nous faisons notre marge à partir de la 7e personne", reconnaît Christophe Ducluzeau, qui a investi 200.000 euros dans son projet.
Mais ce passionné de rugby et intime du sélectionneur du XV de France Philippe Saint-André veut y croire, comme il croit aux chances des Bleus au Mondial qui a lieu en ce moment même en Angleterre. "On peut aller loin", sourit-il.