L'envolée du prix d'un médicament pour traiter des infections mortelles a suscité une vague d'indignation aux Etats-Unis, où les traitements sont souvent vendus à des prix exorbitants, deux fois plus chers qu'en Europe ou au Canada.
Face à la décision de Turing Pharmaceutical d'augmenter de 5.000% le Daraprim, utilisé contre le paludisme et des co-infections du sida, de nombreuses voix se sont élevées pour dénoncer cette hausse qui fait passer le prix d'un comprimé de 13,50 dollars à 750 dollars du jour au lendemain.
La candidate démocrate à la Maison Blanche Hillary Clinton a jugé "choquant" dans un tweet une hausse aussi exorbitante avant de promettre mardi lors d'un meeting électoral de s'en prendre aux firmes pharmaceutiques pour faire baisser le coût des médicaments. Ses déclarations ont fait baisser de plus de 4% les actions du secteur pharmaceutique sur les marchés.
Après avoir défendu bec et ongles cette décision, le PDG de Turing, Martin Shkreli, 32 ans, ancien patron d'un fonds d'investissement spéculatif, a finalement plié sous le déferlement des critiques et accusations de cupidité. Mais il n'a pas encore précisé le nouveau tarif.
Il avait expliqué auparavant qu'au prix initial, le Daraprim, commercialisé depuis 62 ans, n'était pas rentable. Sa société a récemment racheté les droits de ce médicament.
L'homme d'affaires avait aussi promis que les bénéfices engendrés financeraient des recherches pour améliorer le médicament.
Quelques jours auparavant, la PDG d'une autre petite firme pharmaceutique, Rodelis Therapeutics, avait aussi décidé de renoncer à augmenter le prix de la cycloserine de 480 dollars à 10.800 dollars pour 30 comprimés, sous la pression de groupes médicaux. Ce médicament est destiné à traiter des cas rares et mortels de tuberculose multirésistante aux antibiotiques.
La firme a décidé de recéder les droits de commercialisation à Chao Center, une fondation, à qui elle les avait achetés en août.
- Produit pour 159 dollars, vendu 106.000 -
Mais au-delà de ces cas relativement isolés de forte hausse du prix de médicaments destinés à traiter des maladies orphelines rares et peu rentables pour l'industrie pharmaceutique, les grands laboratoires mondiaux tirent avantage du peu de réglementations aux Etats-Unis pour vendre des médicaments essentiels contre le cancer ou des maladies cardiovasculaires à des prix exorbitants.
Selon une étude britannique dont les résultats seront présentés au Congrès européen sur le cancer à Vienne en fin de semaine, les laboratoires pharmaceutiques facturent aux Etats-Unis jusqu'à 600 fois le coût de production des médicaments, a précisé à l'AFP le professeur de pharmacologie Andrew Hill, de l'Université de Liverpool au Royaume-Uni, co-auteur de ce rapport.
Les Américains payent aussi plus de deux fois les prix pratiqués en Europe pour de nouveaux anticancéreux comme le Tarceva ou le Glivec, vendus par les groupes helvétiques Roche (SIX:ROG) et Novartis (SIX:NOVN) respectivement, qui en détiennent les brevets et pour lesquels il n'existe pas encore de générique.
Selon cette étude, le coût réel de production du Tarceva, plus une marge bénéficiaire hypothétique de 50%, revient à 236 dollars par an pour un malade. Le traitement est actuellement facturé 79.000 dollars aux Etats-Unis, et environ 40.000 dollars en Europe.
Quant au Glivec, pour traiter la leucémie, qui coûte à produire 159 dollars par an et par patient, il est vendu 106.000 dollars aux Etats-Unis, et de 29.000 à 35.000 dollars en Europe.
Plusieurs de ces nouveaux anticancéreux seront disponibles dans les cinq ans en version générique avec l'expiration des brevets.
L'industrie pharmaceutique justifie ces prix par la nécessité de financer la recherche et le développement de nouveaux médicaments.
Mais, réplique le professeur Hill, les laboratoires dépensent davantage en promotion et marketing qu'en recherche.
Ainsi, sur les 71 milliards de dollars de bénéfice annuel de l'ensemble des grands groupes, seulement 8 milliards sont consacrés à la recherche et 17,5 milliards à la promotion des produits.
Contrairement à l'Europe, "aux Etats-Unis les groupes pharmaceutiques peuvent facturer ce qu'ils veulent car une loi empêche les organismes gouvernementaux comme le Medicare de négocier des prix des médicaments, à l'exception des hôpitaux militaires", souligne-t-il, notant aussi "un manque d'organisation" pour développer suffisamment de médicaments génériques ou pour en importer davantage d'Inde ou de Chine notamment.