Les syndicats britanniques s'engagent finalement pour rester dans l'Union européenne, perçue malgré ses défauts comme un moindre mal face au choc ultra-libéral redouté en cas de Brexit.
Le monde du travail s'est fait peu entendre ces derniers mois dans le débat entre les partisans du maintien dans l'UE et les supporters d'une sortie britannique ("Brexit"), en comparaison des grandes entreprises qui souhaitent en majorité maintenir l'arrimage européen du Royaume-Uni.
"Le rêve d'une Europe sociale que tant de syndicats ont caressé s'avère difficile à réaliser", écrit Philip Whyman, professeur d'économie à l’Université du Lancashire central, dans un article universitaire où il explique l'hésitation syndicale à s'investir. "Les mesures prises au sein de l'UE après la crise de l'euro sont même allées dans le sens inverse", ajoute-t-il en évoquant "l'austérité imposée" aux pays du sud de l'Europe.
La libre circulation des travailleurs européens rend en outre sceptique un certain nombre de salariés, mécontents de voir les employeurs britanniques embaucher à peu de frais des immigrés des pays d'Europe de l'Est.
A quelques encablures du référendum du 23 juin à l'issue incertaine, la grande confédération syndicale britannique, le Trade Union Congress (TUC), et ses principales composantes ont fini toutefois par monter au créneau pro-européen.
"Le débat autour de l'appartenance à l'UE a été dominé par les entreprises. Mais à partir d'aujourd'hui je veux changer de braquet et expliquer pourquoi les travailleurs doivent voter pour rester", a tenté de convaincre sa secrétaire générale, Frances O'Grady, mercredi 1er juin.
Un rapport du TUC affirme qu'un travailleur britannique "moyen" perdrait 38 livres (près de 50 euros) de salaire par semaine du fait des conséquences économiques négatives craintes en cas de Brexit.
Lundi, les dirigeants de dix syndicats membres du TUC ont appelé leurs membres à voter pour rester, dans une lettre publiée dans le Guardian. "Après de nombreux débats et délibérations, nous pensons que les avantages sociaux et culturels d'un maintien dans l'UE l'emportent largement sur les avantages d'une sortie", ont expliqué ces dirigeants, parmi lesquels figurent ceux des trois plus grandes organisations britanniques, Unison (employés des services publics), Unite (privé) et GMB (diversifié).
Le TUC rassemble 57 syndicats revendiquant au total quelque 6 millions d'adhérents et en son sein les organisations qui veulent le maintien dans l'UE représentent 4 millions de syndiqués, celles qui restent neutres un peu moins de 2 millions et celles favorables au Brexit environ 100.000, d'après un porte-parole de la confédération.
- Entre attachement européen et indécision -
Parmi les partisans syndicaux du "Lexit" (pour "Left exit", c'est à dire "sortie par la gauche") figure le RMT, implanté dans les transports.
D'après son ancien président Alex Gordon, l'UE n'offre aucune perspective sociale et les Britanniques devaient donc opter pour une sortie qui aurait pour effet collatéral de faire tomber le gouvernement conservateur de David Cameron.
"On fera alors campagne pour que (le travailliste) Jeremy Corbyn ait la majorité et dirige le nouveau gouvernement", a-t-il lancé lors d'un récent débat entre partisans syndicaux du maintien et du départ au King's College de Londres.
Mais la gauche n'a aucune assurance que les conservateurs perdraient les commandes du pouvoir dans les années suivant un Brexit, rétorque Dave Prentis, secrétaire général de Unison.
"C'est le Royaume-Uni qui a transmis à l'UE la maladie de la privatisation. Les contrats zéro heure, c'est britannique, pas européen. Les dérégulations seront imposées plus vite si nous quittons l'UE", a-t-il argué lors de ce débat. De surcroît, ce sont les directives européennes qui garantissent un certain nombre de droits aux employés britanniques, comme la quatrième semaine de congés payés ou les congés maternité et paternité.
Reste à savoir si cet engagement syndical quelque peu tardif suffira à convaincre les électeurs du parti travailliste, pro-européen et traditionnellement lié aux syndicats, de se rendre aux urnes pour maintenir l'ancrage continental de leur pays. Cette tâche pourrait être d'autant plus ardue que le chef du parti travailliste, Jeremy Corbyn, ne fait pas montre lui même d'un enthousiasme européen débordant.
Des travailleurs de la sidérurgie rencontrés par l'AFP lors d'une récente manifestation à Londres contre la fermeture d'usines, semblaient plutôt partagés entre attachement à l'Europe et indécision.
"Chacun des deux camps affirme qu'on perdra notre travail si l'autre l'emporte. Qu'est ce qu'on peut bien faire ?", a demandé Terry Hanby, employé de l'acier depuis 34 ans, en défilant au son d'une cornemuse aux côtés d'ouvriers casqués.