Dimanche, 7H00 du matin. Les bus et trams qui quittent la gare de Pyongyang sont remplis de Nord-Coréens encouragés sur le chemin du travail par les tambours et drapeaux d'une troupe de propagande faisant son show à proximité.
Et pour ceux qui ne comprendraient pas le message, une banderole clarifie les choses: "Camarade, as-tu mené à bien ton combat aujourd'hui?"
Le ton martial figure sur tous les placards géants qui ornent les bâtiments et les rues de la capitale nord-coréenne: Pyongyang vit depuis deux mois au rythme d'une nouvelle campagne de mobilisation de masse lancée pour doper l'économie. Son but: aider le pays à encaisser un nouveau train de sanctions économiques internationales votées après l'essai nucléaire de début janvier.
Après "la campagne de 70 jours" qui s'était achevée en mai, une version longue de 200 jours a débuté en juin, demandant aux employés de travailler le week-end, et de fournir des heures supplémentaires.
"Nous sommes ici tous les matins pendant une heure", explique la leader du groupe de propagande exclusivement féminin qui, près de la gare, agite ses drapeaux rouges au son des haut-parleurs criards dans une chorégraphie simple mais travaillée.
"Ce n'est pas fatigant. Nous sommes fières de le faire. Nous voulons encourager tous les habitants de Pyongyang qui participent à la campagne", déclare-t-elle à l'AFP par l'entremise d'un traducteur officiel.
- Inutile ou contre-productif? -
L'accueil du public est loin d'égaler l'enthousiasme affiché par la trentaine de femmes en jupe vert épinard et chemisier blanc. Au mieux, les passants n'accordent qu'un coup d'oeil au spectacle, vite emportés par leur bus.
Pour les experts étrangers, ces campagnes de mobilisation sont, au mieux, inutiles. Certains pensent en revanche qu'elles ont un impact négatif sur la productivité en contribuant à une fatigue généralisée des travailleurs.
Pour l'organisation Human Rights Watch, il ne s'agit ni plus ni moins que de travail forcé.
Andrei Lankov, professeur à l'Université Kookmin de Séoul, explique que ces campagnes sont surtout une façade, la résurgence d'une époque disparue depuis longtemps.
"Dans les années 1960 et 1970, ces campagnes à caractère militaire constituaient d'authentiques mobilisations. On attendait des gens qu'ils fassent des journées de 14 heures, sept jours sur sept", explique-t-il. "Aujourd'hui, c'est davantage un rituel. Ils les organisent parce que, et bien, c'est ce qu'ils faisaient auparavant. A mon sens, peu de Nord-Coréens prennent vraiment ces campagnes au sérieux."
Sans surprise, les médias officiels ont d'ores et déjà salué la réussite des "200 jours". Le Rodong Sinmun, organe officiel du parti au pouvoir, n'a-t-il pas claironné une hausse, lors du premier mois de la campagne, de 120 à 130% de la production d'électricité et de charbon?
- Coupures de courant -
Le titre n'a pas étayé cette affirmation. Et les coupures de courant demeurent fréquentes dans une capitale qui est pourtant largement mieux lotie que le reste du pays en matière d'électricité.
Ces dix dernières années, un secteur privé né de l'esprit d'auto-suffisance qui avait permis à beaucoup de survivre pendant la famine de la fin des années 1990 a fait son apparition.
Cette économie non officielle est tolérée par le régime auquel elle sert de plus en plus de soutien, même si elle est étroitement surveillée.
Mais les Nord-Coréens ayant fait défection au Sud expliquent que les campagnes de mobilisation de masse entravent cette "économie grise", en privant les gens du temps libre dont ils ont besoin pour faire du commerce privé.
Le lancement en juin de l'actuelle campagne correspondait à celui d'un nouveau plan économique quinquennal dévoilé par Kim Jong-Un lors du rarissime congrès du parti au pouvoir en mai.
Il s'agit du premier plan économique du genre depuis des décennies. Mais peu de précisions ont été apportées, en dehors d'objectifs généraux comme le renforcement de la production, en particulier dans le domaine énergétique.
A en croire la Banque centrale sud-coréenne, l'économie nord-coréenne s'est contractée de 1,1% l'an dernier, pour la première fois depuis 2010.
En raison de la pauvreté des données économiques provenant du Nord, estimer le PIB nord-coréen est un exercice hasardeux.
Beaucoup d'experts jugent cependant évident que les vieilles recettes, comme ces mobilisations de masse, ne seront pas suffisantes si Pyongyang veut relever le défi économique posé par les nouvelles sanctions.