Visas en retard, prestations inégales... Vu de France, le pèlerinage annuel à La Mecque, le hajj, rêve de tout musulman, est parfois un parcours semé d'embûches, voire une source de désillusions, même si l'offre tend à s'assainir autour d'une charte de qualité.
Plus de deux millions de fidèles devraient participer cette année au grand pèlerinage sur les lieux saints d'Arabie saoudite, qui constitue le cinquième pilier de l'islam et doit être accompli au moins une fois par tout musulman qui en a la capacité financière et physique.
Parmi eux, entre 20.000 et 30.000 pèlerins viennent de France, où vit la première communauté musulmane d'Europe. Les autorités saoudiennes y donnent leur agrément à une quarantaine d'organisateurs de pèlerinage, qui eux-mêmes peuvent "revendre" une partie de leur quota à des sous-traitants. Et c'est sans compter les chiffres de la omra, le petit pèlerinage, plus court, qui se fait tout au long de l'année et autant de fois que souhaité.
Pour mettre de l'ordre dans un secteur où la qualité de l'offre était très inégale, avec des abus voire des arnaques, des agences de voyage réunies dans une coordination ont travaillé durant plusieurs mois, en 2013 et 2014, à une "charte de qualité" pour l'organisation du pèlerinage à La Mecque, en lien avec les administrations concernées (Affaires étrangères, Commerce et Tourisme, bureau des Cultes). Information préalable du voyageur, assistance administrative et sanitaire, vérification de sa satisfaction... Sur le papier, tout est prévu pour que ce qui peut être le rêve et le but d'une vie ne tourne pas au cauchemar, alors que l'investissement financier est considérable - souvent de 4.000 à 8.000 euros par personne, selon la durée du voyage et la qualité de service.
"Un premier pas encourageant", a estimé en juin le ministre de l'Intérieur, Bernard Cazeneuve, lors du lancement de l'instance de dialogue avec l'islam. "Néanmoins, trop de pratiques commerciales abusives ont encore cours. Trop de prestations sont d'une qualité insuffisante au regard de la réglementation française", a-t-il souligné.
- "Fidèles plus vigilants" -
Blogueur en pointe sur l'"économie islamique" et coauteur d'un "Guide du hajj sans souci", Fateh Kimouche (Al-Kanz) se montre plus sévère. Il affirme que "des agences peu scrupuleuses continuent de détrousser par centaines des prétendants au hajj", "épaulées par des rabatteurs qui écument les mosquées et les marchés".
Sur son site, les témoignages de mécontentement ne manquent pas, tel celui de ce fidèle dont le voyage vient d'être annulé par une agence qui "a pris le risque de s'engager avec 400 clients" alors que son quota était de 273 visas... "Le responsable est parti en hajj l'esprit tranquille, sans prendre la peine de prévenir une centaine de personnes", peste le client. Au-delà des visas, les critiques concernent l'hébergement, quand les pèlerins se retrouvent dans des hôtels bien plus éloignés de la grande mosquée de La Mecque ou de moindre catégorie qu'annoncé.
"Les choses s'améliorent doucement, le système est plus rationnel", veut croire Bernard Godard, l'un des artisans de la charte de qualité au ministère de l'Intérieur, où il a longtemps été le spécialiste de l'islam. "Il y a davantage de professionnalisme de la part des agences de voyage spécialisées, et les fidèles sont plus vigilants, comme pour le halal."
Le nouveau président du Conseil français du culte musulman (CFCM), Anouar Kbibech, fait de l'amélioration de l'organisation du hajj un de ses "dossiers prioritaires". Il souhaite la création rapide d'un "pavillon français" sur les lieux saints saoudiens, afin que "les pèlerins puissent avoir un interlocuteur en cas de problème" et "se concentrer sur le rite plutôt que sur la logistique".
Un autre dirigeant du CFCM, Abdallah Zekri, juge de son côté qu'"il reste encore beaucoup de travail à faire pour assainir la situation". "Le hajj depuis la France est le plus coûteux en Europe!" déplore-t-il. "Il faut mieux réguler le marché, et l'État doit s'en occuper."