Les congés payés fêtent leurs 80 ans en pleine contestation sociale

Publié le 06/06/2016 10:56
Mis à jour le 06/06/2016 11:15
Des gens patientent dans une gare à Paris s'apprêtant à partir en vacances, pendant l'été 1936, grâce aux deux semaines de congés payés obtenus par les salariés. (Photo . AFP)

Des gens patientent dans une gare à Paris s'apprêtant à partir en vacances, pendant l'été 1936, grâce aux deux semaines de congés payés obtenus par les salariés. (Photo . AFP)

Les congés payés, l'une des conquêtes sociales majeures de 1936 et du Front populaire, fêtent leurs 80 ans en pleine contestation contre la loi Travail, un anniversaire en "mode défensif" au moment où certains salariés craignent une remise en cause des acquis majeurs du droit du travail.

Août 1936. Des gares bondées, des trains pleins à craquer. Sur les plages de France, des milliers d'ouvriers "enthousiastes", en "Marcel", pieds nus, découvrent la mer et les joies du camping improvisé en famille, goûtant à leurs toutes premières vacances sans perte de salaire.

Nombre de témoignages d'archives évoquent le "bonheur de ne rien faire", les "premières bouffées d'air marin" venant "d'un autre monde", mais aussi la gêne de ne pas connaître "les codes" des vacances, réservées jusque-là une bourgeoisie qui se plaint de "ces salopards en casquette" venant "polluer" ses plages.

A bicyclette, en voiture, mais surtout en train, les gens vont partir. Plus de 500.000 billets seront vendus en août 1936.

"Il y avait de la joie, celle d'avoir gagné cette conquête sociale, celle de la découverte, ce bonheur de dire +je ne vais pas travailler et je vais être payé+ ! C'était une notion impensable, tout comme le tout nouveau secrétariat d’État aux loisirs", dit Françoise Denoyelle, commissaire de l'exposition "1936, le Front populaire en photographie", avec des œuvres de Robert Capa, Henri Cartier-Bresson, Chim, Robert Doisneau ou Willy Ronis, jusqu'au 23 juillet à l'Hôtel de Ville de Paris.

- La mer -

"Je m'en souviens comme si c'était hier. C'était extraordinaire", raconte à l'AFP Julien Lauprêtre, le sémillant président du Secours populaire, âgé de 90 ans, qui en avait 10 à l'époque, et a passé ses premières vacances en août 1936 en colonie à l'Ile-de-Ré.

Rappelant qu'aujourd'hui encore, "seulement un enfant sur trois et un Français sur deux" partent en vacances, l'infatigable défenseur des "oubliés des vacances" entend faire du 9 juin, date anniversaire du dépôt du projet de loi sur les congés payés, une "journée d'appel national à la solidarité" pour que les vacances soient "un droit pour tous et non pas un luxe".

"Mon père, cheminot, m'avait inscrit dans une colonie qui appartenait à un ancêtre du Secours populaire, le Secours ouvrier international. J'ai vu la mer pour la première fois", poursuit M. Lauprêtre, exhibant une photo de lui en short et chemise blanche, au milieu d'enfants de son âge "venus aussi d'Allemagne, d'Italie et d'Espagne, dont les familles avaient fui les régimes fascistes de leurs pays".

En partance pour la mer, sur le quai de la gare au métro Reuilly-Diderot, le jeune Julien Lauprêtre rencontre Jeannette, 9 ans, qui deviendra son épouse. Comme lui, elle n'a pour seul bagage "qu'un sac à patates avec un matricule" et comprend qu'ils vont "au même endroit, en colo, à La Couarde-sur-mer".

- Fruit de luttes -

Avant 1936, les congés payés existaient déjà "dans d'autres pays d'Europe et en France pour quelques catégories sociales aisées et professions comme les fonctionnaires et les compagnies d'assurance", rappelle Jean-Pierre Le Crom, directeur de recherche au CNRS, spécialiste du droit social.

A l'issue de plusieurs semaines de grèves et d'occupation d'usines, qui suivent la victoire du Front populaire aux élections législatives du 3 mai, les ouvriers obtiendront la création des conventions collectives, le passage de la durée du travail à la semaine de 40 heures, et 15 jours de congés payés (loi du 20 juin 1936). La 3e semaine de congés payés sera généralisée en 1956, la 4e en 1969 et la 5e en 1982.

"Ce mouvement était offensif, il s’agissait de conquérir des droits. Aujourd'hui, le mouvement social est en mode défensif, par crainte de perdre ces mêmes droits", analyse M. Le Crom.

Jacqueline Leprince, 92 ans, se souvient de son "mari, ajusteur-outilleur à l'usine", "gréviste à 17 ans, licencié après les grèves". Mais elle raconte aussi à l'AFP "les difficultés de trésorerie" de son père, à la tête d'une petite menuiserie, après le paiement des journées chômées des ouvriers.

Issue de la petite bourgeoisie, une autre Jacqueline, Parisienne de 98 ans, évoque une "période formidable" de courte durée, qui lui a permis de s'émanciper. Elle évoque sa "rébellion" contre son milieu, son arrivée "aux auberges de jeunesse" et son "engagement dans les jeunesses socialistes" où elle a rencontré son "mari qui rentrait de la guerre d'Espagne" et l'a épousée à 21 ans.

"Ce droit est le fruit de luttes, et s'il a été voté à l'unanimité par les députés et les sénateurs de l'époque, c'est bien qu'il correspondait à une volonté populaire", relève M. Lauprêtre, ancien résistant.

Il appelle à continuer de "résister !", selon les valeurs du Conseil national de la Résistance, "dont le programme s'intitulait: +pour des jours heureux+".

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