par Gilbert Reilhac
STRASBOURG (Reuters) - Jean-Pierre Sauvage, qui aura 72 ans le 21 octobre, voit dans l’obtention de son prix Nobel de chimie, qu’il partage avec deux autres chercheurs, le fruit de la persévérance et du hasard.
Le comité Nobel a distingué mercredi le chercheur de l’Université de Strasbourg, avec l'Ecossais Fraser Stoddart, de l'université américaine d'Evanston, et le Néerlandais Bernard Feringa, de l'université de Groningue, pour leurs travaux sur "les machines moléculaires".
"On saute d’un domaine à un autre et, à un moment, on tombe sur quelque chose dont on pense que c’est vraiment original. On est tombé sur cette machinerie et on s’est dit qu’on allait persévérer dans ce domaine", a-t-il expliqué à des journalistes.
La machinerie en question, ce sont notamment les caténanes, des chaînes de molécules imbriquées ayant la capacité de tourner l’une autour de l’autre, que Jean-Pierre Sauvage a mises au point en 1983.
Cette découverte a ouvert la voie à l’élaboration d’autres structures moléculaires mobiles capables d’être mises en mouvement à partir d’une source d’énergie, à l’image de l’effet produit sur un muscle par un influx nerveux.
Avec Fraser Stoddart et Bernard Feringa, qui ont plus travaillé sur l’aspect "mouvement", il n’y a eu ni collaboration, ni compétition, affirme Jean-Pierre Sauvage, mais une "amitié de 25 ans".
S’il affirme que l’usage qui pourra être fait de ses découvertes n’est pas sa première préoccupation, le Strasbourgeois évoque volontiers les domaines dans lesquelles ces nano-objets, nano-muscles ou nano-moteurs pourraient trouver une application.
FAIRE VOYAGER LES MOLÉCULES
"Un domaine dans lequel beaucoup de gens croient, c’est la nano-médecine", dit-il, en précisant que rien n’est sûr dans ce qu’il cite.
"On aura, par exemple, des conteneurs de drogue – au sens de médicaments - qui pourront être ouverts ou fermés, une seringue pouvant être poussée par un muscle qui se contractera ou qui se dilatera pour libérer des molécules actives. On pourra éventuellement faire voyager ces molécules pour s’approcher d’une cellule maligne et libérer la drogue".
Jean-Pierre Sauvage "est un chercheur très imaginatif, avec un esprit expérimental. C’est quelqu’un qui a été très original, un précurseur", dit de lui Jean-Marie Lehn, son aîné de cinq ans, qui fut son directeur de thèse à Strasbourg.
C’était en 1971 et la thèse portait sur "Les diaza-polyoxa-macrobicycles et leurs cryptates".
Lorsqu’il évoque les événements qui ont compté dans son parcours scientifique, Jean-Pierre Sauvage cite Jean-Marie Lehn, prix Nobel de chimie 1987. "Il m’a ‘infecté’ de son enthousiasme et de sa philosophie de la science", dit-il.
Hormis un post-doctorat qui a poussé Jean-Pierre Sauvage vers Oxford, les deux hommes ne se sont guère quittés et travaillent encore à l’Institut de sciences et d’ingénierie supramoléculaire (Isis), fondé et dirigé par Lehn. Ils y sont désormais trois prix Nobel en activité avec l’austro-américain Martin Karplus, distingué en 2013.
Après y avoir dirigé un laboratoire CNRS/Université de Strasbourg, Jean-Pierre Sauvage est depuis 2009 et l’âge de la retraite professeur émérite à l’Isis où il continue assidûment ses recherches.
C’est à son bureau qu’à 11h15, mercredi matin, le comité Nobel l’a trouvé pour lui apprendre la nouvelle.
(édité par Sophie Louet)