Vingt ans après l'incendie de "Chez Francis" par des gendarmes sur ordre du préfet Bonnet, le dossier des paillotes reste épineux en Corse, où un bras de fer oppose les exploitants de ces établissements de plage, la préfecture et les élus nationalistes.
Fin avril, Josiane Chevalier, la préfète de Corse a rendu public le verdict sur les autorisations d'occupation temporaires (AOT) des plages pour la saison 2019: sur 345 demandes d'AOT pour l'ensemble de la Corse, 81 ont été refusées, dont 70 en Corse-du-Sud.
Ces 70 refus concernent essentiellement les matelas, parasols et bases nautiques. Ils sont fondés sur deux critères, a détaillé la préfète: les "personnes qui, depuis 2016, sont en infraction en occupant le domaine public maritime sans titre ou en dépassant les autorisations accordées" et les nouvelles demandes d'AOT qui ne respectent pas le Plan d'aménagement et de développement durable pour la Corse (Padduc).
Ce document de 3.000 pages élaboré pendant quatre ans a été adopté en octobre 2015 par l'Assemblée de Corse , et notamment par les élus nationalistes aujourd'hui au pouvoir.
La préfecture, qui compte le faire appliquer, a précisé que sur les 264 AOT acceptées, 84 "ne rentraient pas dans les critères du Padduc", qui définit notamment quatre catégories de plages dont deux n'autorisent pas matelas, transats et parasols. Mais pour ces 84 exploitants, la préfecture a accepté un "ultime sursis", explique la préfète. "Pour les bénéficiaires ayant respecté les règles au cours des trois dernières années, j'ai pris la responsabilité de leur accorder leur AOT pour cette année transitoire".
"Ces AOT ne seront pas renouvelées en 2020", prévient toutefois la représentante de l'Etat en Corse, sauf évolution du Padduc ou "engagement écrit à le faire" par la Collectivité de Corse qui en a la responsabilité. "Je suis la seule à prendre mes responsabilités donc c'est fini", a-t-elle tranché, irritée d'être pointée du doigt, alors qu'elle assure vouloir simplement faire appliquer le texte.
- "Stratégie de confrontation" -
Rejetant ce qu'ils estiment être une interprétation du texte et dénonçant "la gestion calamiteuse et déséquilibrée des AOT par la préfète de Corse", une trentaine de professionnels du littoral de Corse-du-Sud qui n'ont pas obtenu l'autorisation idoine ont annoncé jeudi leur intention de "passer outre les refus d'AOT" et d'installer leurs équipements de plage ce week-end.
"S'il y a des ouvertures illicites, il y aura des verbalisations", a réagi Eric Bouillard, procureur de la République d'Ajaccio.
Des défenseurs de l'environnement joints par l'AFP préfèrent, eux, ne pas s'immiscer dans ce nouveau bras de fer.
Du côté de la Collectivité de Corse, le président du conseil exécutif Gilles Simeoni a dénoncé devant l'Assemblée de Corse "une stratégie de confrontation" recherchée par l'Etat et "la tentation d'exacerber et quelquefois même de créer des tensions au sein de la société corse" en essayant notamment "d'opposer les exploitants d'activités économiques de plage au conseil exécutif".
Concernant les AOT, "puisque l'on est dans une logique de dérogation, appliquons-la à tous les demandeurs", a-t-il fait valoir dans Corse-Matin. Se disant prêt à envisager "l'éventuelle évolution du Padduc", il a refusé de le faire dans "une situation d'urgence".
A ces tiraillements entre l'Etat et la Collectivité de Corse vient s'ajouter un climat préoccupant dans l'île où trois paillotes ont été incendiées depuis début mars dans le golfe d'Ajaccio et le golfe de Sagone.
"Ce n'est pas la première année que des paillotes brûlent au printemps avant la saison mais on a des tensions qui s'expriment et on souhaite être vigilant et présent pour éviter que ça prenne des proportions qui nous dépassent", a dit à l'AFP le procureur de la République d'Ajaccio. Il a précisé ne pas faire de lien entre ces différentes affaires "même si la méthode est similaire".