Faute de consensus, la réforme de l'euro, pourtant l'une des plus belles réussites de la construction européenne, sera largement ignorée à Sibiu, en Roumanie, où les dirigeants de l'UE se retrouvent jeudi pour discuter de l'avenir de l'Europe.
Après deux décennies de vie commune, l'union en grande pompe des pays qui ont adopté la monnaie unique --aujourd'hui 19-- ressemble à un vieux mariage sans amour, marqué par les divisions, de plus en plus assumées, principalement entre les pays riches et les plus pauvres.
"Nous ne sommes pas dans une crise existentielle, mais il reste beaucoup de travail inachevé. Et je doute fort que Sibiu nous permette de beaucoup avancer", résume Fabian Zuleeg, directeur du European Policy Centre à Bruxelles, interrogé par l'AFP.
Les dirigeants de l'UE préfèrent éviter les sujets qui fâchent lors de cette rencontre, imaginée à l'origine comme un réengagement des 27 États membres en faveur de l'Europe après le départ du Royaume-Uni, qui aurait dû se produire le 29 mars.
"L'objectif de Sibiu, ce n'est pas de discuter vraiment des sujets, mais plutôt d'afficher une unité en se focalisant sur des thèmes consensuels", explique une source européenne. En particulier à environ deux semaines des élections européennes.
Or, si les Européens s'accordent sur la nécessité de réformer l'euro pour unifier des économies nationales encore très disparates, surtout après la récente crise de la dette, ils ne s'entendent pas sur la méthode.
Le président de la Commission européenne, Jean-Claude Juncker, attribue cette inaction à la méfiance des pays riches envers leurs partenaires plus pauvres. Sans hésiter à donner des noms.
"Il n'y a pas de progrès dans l'approfondissement de l'union monétaire parce que les Pays-Bas, l'Autriche et trop souvent l'Allemagne s'y opposent quand il s'agit de solidarité", a-t-il regretté vendredi dans le quotidien économique allemand Handelsblatt.
"Nous ne nous aimons plus les uns les autres", a-t-il insisté. "Nous avons perdu notre libido".
- Planètes alignées -
Lors de son entrée en fonction en 2017, le président français Emmanuel Macron avait pourtant tenté de redonner de l'appétit à la zone euro, notamment en proposant la création d'un large budget dédié et même la nomination d'un ministre des Finances européen.
Ses idées ont depuis été soit largement édulcorées, soit carrément abandonnées.
A la même époque, Jean-Claude Juncker avait lui aussi présenté des propositions, espérant profiter d'une légère amélioration de l'économie européenne pour les faire avancer.
"Si vous regardez encore un an en arrière (...) beaucoup d'entre nous ont vu un alignement des planètes pour faire avancer la monnaie unique", explique à l'AFP Nicolas Véron, du think tank Bruegel, basé à Bruxelles.
"De toute évidence, ce n'est pas ce qui s'est passé (...) Au sein de l'Eurogroupe (les ministres des Finances de la zone euro, qui s'occupent des questions relatives à l'euro, ndlr), il est clair que rien d'important ne sera conclu dans un avenir proche. C'est sans doute un peu désolant", ajoute-t-il.
Les rêves de réforme se sont rapidement heurtés aux Pays-Bas, chef de file d'un groupe de plusieurs petits pays réticents --connu sous le nom de "Ligue hanséatique"-- mais aussi aux résistances allemandes, pas toujours affichées au grand jour.
"L'amère réalité est que nous avons une Union dans laquelle une partie de la population, principalement dans le nord-ouest de l'Europe, veut partir", a encore déclaré mardi le ministre néerlandais des Finances, Wopke Hoekstra.
Cette opposition a fortement réduit l'ambition de projet de budget pour la zone euro, sur laquelle les Etats membres devraient finir par s'entendre, et rend encore hypothétique une autre réforme importante: un système européen de garantie des dépôts.
Dans ce contexte délicat, l'Elysée a amorcé un changement de méthode: plus question désormais de négliger les petits pays au profit du seul partenaire allemand.
"La France a longtemps eu du mal à jouer avec plusieurs acteurs. C'est un tort, une perte d'influence. Un changement d'attitude prendra un certain temps", convient un responsable français.