Le ciel russe est-il prêt à la révolution low-cost? Après plusieurs échecs ces dernières années, le numéro un du transport aérien du pays, Aeroflot, a décidé de tenter sa chance, à la condition d'une adaptation de la réglementation qui tarde à venir.
La compagnie semi-publique, qui détient environ 40% de parts de marché dans le plus vaste pays au monde, a officialisé ses intentions lors de son dernier conseil d'administration, le 25 juillet.
Aeroflot y a retenu le schéma d'une filiale à 100% consacrée au transport à bas coût, dans laquelle elle compte investir 100 millions de dollars. Elle espère ouvrir dès 2014 ses premières liaisons sur des lignes très fréquentées, entre Moscou et Saint-Pétersbourg (nord-ouest) ou le sud de la Russie européenne.
A terme, selon le journal Vedomosti, la nouvelle compagnie, dont le nom n'a pas été dévoilée, pourrait desservir Kiev, Istanbul, Erevan, Barcelone, avec une flotte dépassant d'ici à cinq ans les 40 appareils (au départ des Boeing 737).
L'objectif est d'offrir des billets 30% à 40% moins chers que les tarifs en vigueur et même de concurrencer les chemins de fer, un moyen de transport très populaire et relativement bon marché en Russie.
"Les gens considèrent de plus en plus que leur temps est précieux et vont de moins en moins passer deux ou trois jours dans le train", relevait en mai dans Vedomosti Andreï Martirossov, directeur général de la troisième compagnie russe Utair.
Ce transporteur a également fait savoir qu'il comptait lancer une compagnie low-cost, pour répondre selon son patron à une "demande sociale".
Pour les compagnies russes, l'enjeu est aussi de contrer des low-cost européennes de plus en plus intéressées par le marché russe, où le trafic aérien affiche des taux de croissance annuels de près de 20%.
La britannique EasyJet a lancé en fanfare en mars ses premiers vols entre Londres et Moscou et la compagnie d'origine hongroise Wizz Air suivra en septembre avec des liaisons Budapest-Moscou.
Sans modification de la loi, "rien ne volera"
Aeroflot compte employer des recettes éprouvées: réduire les coûts au maximum, vendre des billets non remboursables, uniquement sur internet, tarifer l'enregistrement d'un bagage en soute ou les repas.
Sauf que ces techniques commerciales sont interdites par la réglementation qui encadre les compagnies aériennes russes.
La loi empêche aussi d'embaucher des pilotes étrangers alors que le pays se trouve proche de la pénurie de commandants de bord, avec pour conséquence des salaires très élevés.
"Tant que la loi n'aura pas été modifiée, rien ne volera, nous ne prendrons pas le risque", a tranché le patron d'Aeroflot, Vitali Saveliev, sur la chaine Rossia 24. "Il n'est pas possible pour Aeroflot d'investir 100 millions de dollars dans un projet qui ne nous rapportera pas d'argent".
Les autorités semblent avoir pris conscience de la nécessité d'agir, Vladimir Poutine ayant donné son aval à l'idée d'une low-cost russe en octobre dernier. Mais depuis, les changements tardent à venir.
"Le modèle des compagnies à bas coûts ne fonctionne pas actuellement en Russie", ont constaté les analystes de VTB Capital.
Toutes les tentatives ont pour l'instant échoué et les billets d'avion en Russie restent en moyenne trois à cinq plus fois plus coûteux que ceux offerts par les low-cost européennes, selon les calculs de la firme de conseil Bain & Company.
Fondée en 2006, la première, Sky Express, s'est vu retirer son autorisation de vol fin 2011 en raison de ses difficultés financières. Elle a été absorbée par la compagnie régionale Kouban, dans le sud-ouest, qui a fini elle-même en faillite fin 2012.
En 2009, la holding Alfa du milliardaire Mikhaïl Fridman et le fonds américain Indigo ont lancé Avianova. Lourdement déficitaire, plombée par un conflit entre ses actionnaires, elle a cloué ses avions au sol en octobre 2011.
"Le marché russe n'était pas prêt (...) mais la situation a changé", grâce notamment à l'émergence d'une classe moyenne, constate Iouri Spektorov, expert de Bain & Company.