Croissance durable, recul de la pauvreté, investissements étrangers: plusieurs études occidentales misent désormais sur un "miracle" économique en Afrique, que nuancent toutefois les économistes africains interrogés par l'AFP.
Depuis le début des années 2000, le continent le plus pauvre de la planète connaît un réel essor économique. Après un bref ralentissement lié à la crise mondiale, la croissance devrait renouer dès cette année avec un rythme soutenu, proche de 5%.
Ce "décollage économique" est "inscrit dans la durée et robuste", estime le cabinet de conseil McKinsey&Company dans un rapport publié mardi. Mieux, assurent ses auteurs, cette "accélération de la croissance de l'Afrique ne peut être portée au seul crédit du boom des ressources naturelles".
"L'absence de matières premières n'a pas empêché des pays comme le Mali ou le Burkina Faso d'enregistrer de bons taux de croissance", confirme Abdoulaye Diagne, du Consortium pour la recherche économique et sociale, à Dakar.
Mais pour Bongani Motsa, économiste au Trade and Industrial Policy Strategies (Tips), un institut de recherches sud-africain, les exportations de ressources naturelles restent le principal moteur de la croissance africaine, ce qui la rend encore "fragile".
Quoi qu'il en soit, cet envol a conduit le chef économiste de Goldman Sachs, Jim O'Neill, à se demander, dans le Financial Times, si les locomotives africaines que sont l'Afrique du Sud, le Nigeria et l'Egypte ne viendront pas rejoindre, à l'horizon 2050, le groupe des grands pays émergents.
Mais ces prédictions reposent toutes sur une série non négligeable de conditions: le continent noir doit tourner la page des conflits, de l'instabilité politique, des épidémies et de la corruption endémique.
"Ce sont autant d'obstacles qui ne sont pas près d'être levés", ironise Bongani Motsa. "Le défi de la bonne gouvernance reste entier", surtout dans les pays où la manne pétrolière attise les convoitises, renchérit Léonard Wantchekon, de l'Institut de recherche empirique en économie politique de Cotonou.
Au-delà de l'expansion économique, la question du développement reste cruciale. Or là aussi, deux études universitaires tendent à montrer que la pauvreté et les inégalités commencent, enfin, à reculer.
"L'idée reçue selon laquelle l'Afrique ne réduit pas la pauvreté est fausse", assurent ainsi Maxim Pinkovsky et Xavier Sala-i-Martin, deux universitaires américains, auteurs d'une de ces études.
Cette embellie favoriserait la naissance de classes moyennes africaines. C'est ce que décrit de son côté Alwyn Young de la London School of Economics, dans son étude sur "le miracle de la croissance africaine": "la consommation réelle des ménages en Afrique subsaharienne croît d'environ 3,3% par an", soit davantage que suggéré par les statistiques officielles.
Seulement, relativise Bongani Motsa, "la croissance africaine n'est pas aussi durable qu'on le dit" et les crises alimentaire, financière et économique des dernières années ont déjà provoqué un rebond des inégalités et un début d'"évaporation" de la classe moyenne naissante.
Pour cet économiste sud-africain, les gouvernements locaux manquent de stratégies économiques pour rendre durable l'expansion, et l'absence de capital humain est leur principal handicap. Tout comme les carences en matières d'infrastructures, "véritable goulot d'étranglement du développement", ajoute Léonard Wantchekon.
En outre, selon Abdoulaye Diagne, la pauvreté est encore "massive" et son recul récent n'est pas encore significatif. D'autant que "dans les pays pétroliers comme le Congo ou le Gabon, la croissance a plutôt tendance à ne profiter qu'à une infime partie de la population et donc à creuser les inégalités".