L'ancien trader de la Société Générale Jérôme Kerviel a été très lourdement condamné mardi par le tribunal correctionnel de Paris, qui lui a infligé cinq ans de prison dont trois ferme et des dommages-intérêts colossaux de 4,9 milliards d'euros, correspondant à la perte subie par la banque.
Son avocat, Me Olivier Metzner, a immédiatement annoncé qu'il ferait appel de ce jugement "déraisonnable, inacceptable par son caractère totalement excessif". Selon des sources judiciaires, l'appel a été déposé dans l'après-midi.
Après l'annonce de la peine, Jérôme Kerviel, 33 ans, blême dans son costume sombre, est resté assis un long moment, encaissant le coup, visiblement accablé.
Alors que sa défense avait plaidé la relaxe pour l'essentiel des faits qui lui étaient reprochés, le tribunal a suivi pratiquement point par point les arguments tant de l'accusation que de la Société Générale.
Le président de la 11e chambre, Dominique Pauthe, l'a déclaré coupable des trois chefs retenus contre lui: abus de confiance, faux et usage de faux, introduction frauduleuse de données dans un système informatique.
L'ancien trader a "outrepassé le cadre de son mandat en prenant des positions spéculatives à l'insu de la banque, et dans des proportions gigantesques", a jugé le tribunal après plus de trois mois de délibéré.
Il s'est "livré à un total renversement des rôles en se positionnant comme victime d'un système dont il se dit la créature", a poursuivi le président, évoquant "l'impassibilité trompeuse", le "sang-froid permanent", le "cynisme des agissements" de l'ex-trader.
Ses actes ont "porté atteinte à l'ordre économique mondial", a estimé le tribunal, reprenant ce qu'avait dit le parquet lorsqu'il avait requis cinq ans dont quatre ferme durant le procès du 8 au 25 juin.
Le tribunal a opté pour cinq ans dont trois ferme, sans ordonner l'incarcération immédiate du condamné - qui avait fait 38 jours de détention provisoire début 2008 - ni prononcer d'amende.
Jugé pour avoir pris sur les marchés financiers des positions spéculatives de dizaines de milliards d'euros, dissimulées à l'aide d'opérations fictives et de fausses écritures, il encourait un maximum de cinq ans de prison et 375.000 euros d'amende.
Le tribunal a aussi accédé à la demande de la Société Générale, qui réclamait à son ancien trader le remboursement de son préjudice, soit 4,9 milliards d'euros, en dommages et intérêts.
Compte tenu de son salaire, il lui faudrait 170.000 ans pour payer.
Cette somme est tout bonnement impossible à payer et a conduit certains, tels le leader centriste François Bayrou, à se demander si la justice française prenait le chemin de la "tradition juridique américaine, qui condamne à 150 ou 200 ans de prison".
"La prison, il la mérite. Mais le remboursement de la totalité, c'est énorme, c'est trop", estimait un salarié de la Société Générale interrogé près du siège du groupe, à La Défense.
"Je suis écoeuré (...), l'Europe est sous la pression des marchés financiers, (...) il fallait le massacrer, ils l'ont fait", s'est emporté René Coupa, fondateur d'un comité de soutien à Jérôme Kerviel créé dans sa ville natale de Pont L'Abbé (Finistère).
Lors du procès, Jérôme Kerviel avait admis avoir perdu le sens des réalités, mais répété que sa hiérarchie l'avait laissé faire, voire encouragé à prendre des risques, dès lors qu'il gagnait de l'argent.
Les avocats de la Société Générale, outrés que la défense ait cherché à faire "le procès de la banque", avaient taillé en pièces ses arguments. La SocGen s'est félicitée que "le préjudice moral et financier exceptionnel subi par la banque et ses salariés" ait été reconnu par la justice.