La loi de modernisation de l'économie (LME) devait apaiser les relations entre distributeurs et fournisseurs, mais les négociations qui démarrent s'annoncent particulièrement tendues : l'interprétation de la loi reste à définir et le spectre de l'inflation plane.
En août 2008, la LME a changé les règles du jeu, en donnant aux distributeurs et aux fournisseurs la possibilité de négocier les tarifs.
Il s'agissait de moraliser les pratiques du secteur en mettant un terme aux "marges arrière" (rétro-commissions des fournisseurs aux distributeurs) et de favoriser la concurrence pour faire baisser les prix sur fond de forte inflation.
Pour la troisième fois depuis la promulgation de la loi, les deux parties vont négocier les contrats annuels qui les lieront à partir du 1er mars.
La première année, une partie des distributeurs a appliqué la loi, mais constatant que les autres n'étaient pas sanctionnés, "tout le monde a dérivé tranquillement" l'année dernière, a estimé Jean-René Buisson, président de l'Association nationale des industries alimentaires (Ania), lors d'une conférence organisée jeudi et vendredi par le magazine LSA.
Il réclame qu'apparaisse dans le document final "la réalité des négociations" (le poids des promotions, des opérations spéciales type anniversaire d'enseigne...).
"Le cadre législatif est encore flou", a renchéri Olivier Desforges, président de l'Ilec, organisation qui rassemble des fabricants de grandes marques.
La LME a notamment institué le principe de "déséquilibre significatif", mais sans le définir. Le secrétaire d'Etat au Commerce Hervé Novelli compte sur la justice pour lui donner du sens : l'année dernière, il a assigné neuf distributeurs pour des clauses présumées abusives dans leurs contrats, et attend qu'il en ressorte "une jurisprudence".
Or les procès sont ralentis par la question prioritaire de constitutionnalité (QPC) invoquée par plusieurs distributeurs. La Cour de Cassation doit décider prochainement si elle transmet ou pas le dossier au Conseil constitutionnel, qui disposerait lui-même de trois mois pour statuer et éventuellement invalider une partie de la LME.
Entre-temps, la DGCCRF a identifié d'autres pratiques considérées illicites, et le gouvernement a convaincu la grande distribution, sauf Leclerc, de s'engager à y renoncer ou à les clarifier, évitant ainsi de nouvelles assignations.
Cette année, le climat est également assombri par les hausses de prix des matières premières (café, cacao, céréales, coton...) "qui ne sont pas propices à des discussions sereines", selon Olivier Humeau, directeur général de Nielsen.
"La tension inflationniste liée aux matières premières est réelle", a reconnu Jean-Denis Deweine, directeur commercial d'Auchan, qui pointe aussi la hausse du coût des transports maritimes entre l'Asie et l'Europe.
Dans ce contexte, les distributeurs se posent en sentinelles de l'inflation au bénéfice du consommateur. Un rôle que lui contestent les industriels.
"On n'est pas contre les hausses de tarifs, mais contre le fait que certains utilisent la conjoncture pour passer des hausses" injustifiées, affirme Jérôme Bédier, président de la Fédération des entreprises du commerce et de la distribution (FCD), appelant à être attentif aux PME. "On n'a aucune inquiétude pour les grands de l'agroalimentaire mondial".
"Nous devons avoir plus d'empathie" vis-à-vis des PME, a déclaré aussi Serge Papin, patron de Système U, selon le site de LSA.