Les envolées caniculaires du mercure attendues cette semaine menacent d'altérer la récolte de blé, dont la France compte parmi les cinq grands producteurs mondiaux.
Depuis l'annonce de 40°C et plus à partir de mercredi, qui suscitent une alerte sanitaire déclenchée par les autorités, le marché s'est lui aussi mis en état d'urgence avec un bond de 15 euros par tonne entre vendredi et lundi, remarque l'Association des producteurs de blé (AGPB).
"On ne va pas crier avant d'avoir mal", lâche Arnaud Rousseau, agriculteur en Seine-et-Marne au sud de Paris, où l'absence de précipitations sérieuses depuis deux mois commence par ailleurs à se faire sentir.
"Mais on a déjà des températures élevées depuis un certain temps, alors une semaine caniculaire quand on arrive au stade de maturation du grain, c'est au minimum une perte de rendement".
Les producteurs, anxieux, redoutent un phénomène d'échaudage, minutieusement décrit par l'historien du climat Emmanuel Le Roy Ladurie comme un des éléments déclencheurs de la Révolution française.
La chaleur intense en période de remplissage du grain, qui va griller la plante et ses dernières feuilles, atténue le poids des grains de blé, donc les rendements, et la qualité.
"C'est inévitable avec des températures comme celles annoncées", prévient Dominique Chambrette, agriculteur en Bourgogne (Yonne) et vice-président de l'AGPB. Tout au plus espère-t-il une atténuation des effets de l'échaudage sur les plantes qui ont pu s'enraciner profondément au printemps du fait du manque d'eau qui les a poussées à puiser dans le sous-sol.
C'est principalement dans les régions céréalières du centre, des pays de Loire et en Bourgogne que le risque est le plus élevé. Or, observe Sébastien Abis, spécialiste de la "Géopolitique du blé" (ed. Armand Collin) à l'Institut des Relations internationales et stratégiques (Iris), "la région Centre est l'une des plus importantes zones céréalières du monde et la première d'Europe" et assure "10 à 15% de la production française".
- "Juste" une perte de rendement? -
"On a eu un déficit de pluie de l'ordre de 30 à 40% sur les deux derniers mois. Moi j'ai eu 5 mm d'eau au début de la semaine dernière, mais une pluie efficace c'est au minium 15 mm" assure Arnaud Rousseau, qui cultive 280 ha.
Dans son département et en descendant vers le sud, les champs sont déjà roux, les graminées des bas-côtés, brûlées. Or à cette époque, les orges d'hiver sont terminées, mais les récoltes de colza et de maïs, comme celles du blé, sont encore à venir.
Les producteurs se préparent à une moisson anticipée d'une bonne semaine, autour du 14 juillet. Même si au nord, les cultures ont reçu des pluies régulièrement, dont les dernières dimanche, remarque Damien Vercambre, de la société Inter-Courtage à Dunkerque.
Courtier chez Plantureux et Associés et fin observateur du marché, Edward de Saint-Denis relativise encore la menace: "On attendait une récolte record autour de 38 millions de tonnes, elle sera plus vraisemblablement entre 37 et 37,5 millions de tonnes" ce qui place tout de même l'Hexagone au premier rang européen et 4e exportateur mondial (derrière la Chine, les Etats-Unis et la Russie).
"On va perdre quelques pour cent, en poids et volume, avec ponctuellement quelques problèmes de teneur en protéines mais rien de très affolant", veut-il croire. "Ca reste une bonne récolte".
A condition qu'à l'épisode caniculaire ne succède pas, comme c'est souvent le cas, un excès de pluies qui provoquerait en pleine maturité des épis une perte de qualité déjà éprouvée l'an dernier, reprend Arnaud Rousseau. "Sans pluie, on aura juste une perte de rendement - enfin +juste+... façon de parler".
L'an dernier, un épisode de sécheresse prolongée avait cédé la place mi-juillet à des conditions anormalement humides au contraire, qui avaient dégradé les blés dans les champs et provoqué leur germination. Cette perte de qualité s'était faite ressentir sur certains marchés privilégiés comme l'Algérie.