Htet Myat Nyein fait partie des milliers d'ouvrières cousant désormais en Birmanie des vêtements pour l'industrie mondiale du textile, vantée comme un facteur clef de modernisation d'une économie encore très largement informelle et rurale.
"J'ai appris à coudre dans cette usine," explique l'ouvrière, sa voix à peine audible au milieu du vacarme des machines à coudre de cet atelier du groupe Shweyi Zabe, perdu dans une banlieue industrielle de Rangoun en plein développement.
Dans ce quartier de Hlaing Thar Yar, la plupart des habitants dépendent encore des mandats envoyés par leurs proches partis travailler à l'étranger, notamment en Thaïlande voisine, faute d'alternative.
Mais depuis l'ouverture du pays à l'économie de marché depuis l'autodissolution de la junte en 2011, le marché du travail est en pleine mue, après des décennies d'économie informelle et de marché noir, marquées par la mauvaise gestion des militaires.
Dans cette banlieue de la capitale économique birmane, l'horizon ne s'est cependant guère élargi: on peut "soit travailler comme ouvrière du textile soit dans des salons de beauté, c'est tout", tempère Htet Myat Nyein, ses joues colorées de tanaka, poudre végétale jaune largement utilisée par les classes populaires dans ce pays d'Asie du sud-est.
Cette question du développement de l'emploi manufacturier est au cœur des préoccupations des plus de 30 millions d'électeurs appelés à voter le 8 novembre pour des législatives auxquelles le parti de l'opposante Aung San Suu Kyi est donné gagnant.
Celle-ci ne s'y est d'ailleurs pas trompé, se rendant il y a quelques semaines dans un atelier textile de Rangoun pour discuter avec des ouvrières de leurs conditions de vie, avec l'actrice Angelina Jolie, également envoyée spéciale de l'ONU.
Les ouvriers du textile sont évalués à 300.000, contre 140.000 en 2013, selon les chiffres officiels.
Bien que le programme économique de la Ligue nationale pour la démocratie (LND) d'Aung San Suu Kyi soit peu étoffé, il mentionne la nécessité d’accorder des "salaires raisonnables" entre autres "garanties pour les salariés".
-"Renaissance manufacturière"-
Sean Turnell, expert de l'économie birmane, se dit confiant dans la mise en place par la LND, une fois les élections remportées, d'une politique économique permettant "la renaissance manufacturière" de l'ancienne colonie britannique.
Partant de loin, la Birmanie est aujourd'hui classée par la Banque mondiale au 4e rang des pays connaissant la plus forte croissance.
Le pays a inauguré mardi sa première zone économique spéciale à Thilawa, près de Rangoun, entre autres réformes économiques menées depuis 2011.
Le gouvernement de transition actuel a ainsi déjà mis en place récemment un salaire minimum journalier de 3.600 kyats (2,40 euros), face aux exigences de régulation du monde du travail. Une annonce saluée par les grandes marques internationales ayant déjà fait, comme H&M ou Gap, le pari de relocaliser une partie de leur production dans l'ex-Etat paria.
Les salaires bas permettent jusqu'ici à la Birmanie de concurrencer des pays voisins comme le Vietnam ou le Cambodge, qui ont déjà largement développé leur industrie textile.
La Birmanie, idéalement située entre l'Inde et la Chine, fait figure de petit nouveau sur ce marché très concurrentiel de la confection.
Le textile représente 14% des exportations globales de la Birmanie, selon les données de 2014 de l'Association des industriels du textile de Birmanie. Un chiffre qui devrait encore grimper cette année, affirme l'association, qui assure que 70% des emplois industriels à Rangoun, la capitale économique, sont déjà dans ce secteur.
Mais la régulation en cours du secteur ne fait pas que des heureux, certains ateliers textile assurant ne pas pouvoir payer le salaire officiel.
- Grogne des ouvrières-
Les syndicats, encore balbutiants en Birmanie, dénoncent un millier de licenciements depuis l'imposition du salaire minimum le 1er septembre. Et la grogne des ouvrières du textile pourrait venir bousculer une campagne électorale pour l'heure atone, à part les meetings d'Aung San Suu Kyi.
Certains employeurs ont cessé de payer les heures supplémentaires ou les frais de transport afin de compenser cette soudaine contrainte, selon le journal officiel New Light of Myanmar.
Hayman San fait partie d'un groupe de 200 ouvrières licenciées sans cérémonie par leur usine récemment.
"Je n'ai rien fait de mal. Je suis en colère", confie la jeune femme de 27 ans, qui vit dans la banlieue de Hlaing Thar Yar, dans une de ces maisons de bambou rudimentaires désormais cernées par les ateliers et usines flambant neuves.