Passer à la semaine de quatre jours pour en finir avec la "gangrène" du chômage, c'est possible: à contre-courant de la loi El Khomri, Pierre Larrouturou, chantre de la réduction du temps de travail, veut placer cette question "taboue" au coeur des primaires à gauche.
Depuis la sortie en juin de son ouvrage "Einstein avait raison, il faut réduire le temps de travail", le fondateur de Nouvelle Donne arpente la France pour parler des 32 heures... Et rencontre un "bon écho", confie-t-il à l'AFP.
"Au bout de 30 ans de crise, les citoyens semblent prêts. Avec Dominique Méda (co-auteur du livre), nous allons tout faire pour que ce soit un débat central des primaires", explique Pierre Larrouturou, qui a quitté le PS en 2013.
Mais comment défendre les 32 heures alors que les 35 heures font toujours polémique ? "La question du temps de travail est devenue taboue parce que les politiques n'ont pas eu le courage de faire le bilan des 35 heures", relève cet économiste, selon lequel les premières lois de réduction du temps de travail (de Robien en 1996 et Aubry en 1998) "ont été bénéfiques", mais les lois Aubry II (2000) "plus ambiguës".
Depuis 2002, une "machinerie idéologique" est à l'oeuvre sur la "soit-disant perte de la valeur travail". La droite "n'a cessé de détricoter les 35 heures. Et ça continue avec la loi travail".
La durée de travail moyenne hebdomadaire des Français (37,5 heures) est en réalité supérieure à celle des Allemands (35,3), des Néerlandais... "Partout, le temps de travail se réduit. Plus aucun pays n'est en situation de plein emploi. Et attendre la croissance est illusoire", juge-t-il, soulignant que le Japon vit depuis 20 ans avec une croissance de 0,7%, et qu'aux Etats-Unis, "le taux d'activité s'effondre".
- 1,5 à 2 millions d'emplois -
"On produit plus avec moins de travail". Résultat: un partage du travail s'opère de fait. Mais de manière "sauvage, en laissant faire le marché". L'Allemagne, la Grande-Bretagne ont baissé le temps de travail "en multipliant boulots précaires et temps partiel" notamment pour les femmes.
"On est dans la façon la plus stupide de répartir les gains de productivité. En France des millions de chômeurs travaillent zéro heure, les actifs 35 à 40 heures avec des problèmes de stress, de burn-out.."
Une solution: travailler moins pour travailler tous. La semaine de quatre jours pourrait créer entre 1,5 et 2 millions d'emplois. L'objectif est mettre fin au chômage longue durée, celui qui "exclut".
"Si l'entreprise baisse de quelques heures par jour le temps de travail, elle ne recrutera pas. Mais si chaque salarié est absent un jour par semaine, elle le fera, sans intensifier le travail."
Pas de hausse du coût du travail: passer à quatre jours en embauchant 10% de CDI donnerait droit à une exonération totale de cotisations chômage sur tous les salariés.
Mais comme la Sécurité sociale récupérerait des cotisations avec les salariés embauchés, qui consommeraient aussi à nouveau, au final "c'est neutre pour les finances publiques et positif pour l'économie".
Quatre cents entreprises l'ont fait au moment des lois Robien, sur la base du volontariat: Mamie Nova, Fleury Michon... "Les patrons passés au 32 heures relèvent que l'absentéisme a reculé, que la qualité de vie au travail et en dehors s'est améliorée", raconte M. Larrouturou. Plutôt qu'une "loi couperet" baissant la durée légale du travail, il préfèrerait une "loi balai", après expérimentations.
Utopique ? Le porte-parole de Nouvelle Donne note que le premier à avoir parlé des 32 heures était Antoine Riboud, fondateur de Danone, en 1993. Et qu'en Belgique, en Allemagne, le sujet revient. C'est aussi un cheval de bataille de la CGT.
En 2004, Pierre Larrouturou et Michel Rocard signaient une tribune rappelant que les 35 heures "devaient être une étape vers les 32 heures. Mais qui s'en souvient ? Oui, on a peur d'être ridicules", écrivaient-ils.
"Maintenant, il faut arrêter de verser des larmes de crocodile sur le chômage si on n'a pas un gramme de courage", conclut M. Larrouturou.