par Marine Pennetier
PARIS (Reuters) - Deux ans après les attentats du 13 novembre 2015, la France reste confrontée à une menace essentiellement interne qui a conduit les autorités à adopter une loi antiterroriste musclée, au grand dam des défenseurs des droits de l'homme.
"La France, parce qu'elle a été agressée, lâchement, violemment, sera impitoyable à l’égard" de l'Etat islamique, prévenait François Hollande, alors président, le soir des attentats les plus meurtriers de ces dernières décennies.
Frappes en Syrie et en Irak contre l'EI, assignations à résidence, perquisitions : en deux ans, les djihadistes ont perdu du terrain au Levant et une trentaine d'attentats ont été déjoués en France grâce à des renseignements venus de l'étranger et à l'état d'urgence, selon le ministère de l'Intérieur.
La politique antiterroriste n'a toutefois pas permis d'éviter une douzaine d'attaques qui ont pris pour cible civils et forces de sécurité et qui ont fait une centaine de morts de plus, ainsi que des abus et des perquisitions musclées constatés par les défenseurs des droits de l'homme.
L'un des principaux problèmes, désormais, est le traitement des centaines de combattants et de leurs familles qui souhaitent rentrer en France, un nouveau casse-tête sécuritaire et humain, notamment concernant les enfants.
Afin de s'assurer qu'il n'y ait plus "d'angle mort", Emmanuel Macron a mis en place en juin une "task force", promise pendant la campagne, dont l'objectif principal est de fluidifier l'échange d'informations entre les services de renseignement.
Lundi matin, le chef de l'Etat rendra hommage aux 130 morts et 350 blessés du 13 novembre en se rendant successivement au Stade de France, dans les cafés et restaurants touchés et à la salle de concert du Bataclan, qui a rouvert. Il sera accompagné de François Hollande et de la maire de Paris Anne Hidalgo.
ENQUÊTE TENTACULAIRE
Menée par six juges d'instruction, l'enquête tentaculaire sur les attentats - 220 tomes de procédure et un peu plus de 28.000 procès verbaux - n'a pas encore permis de lever l'ensemble des "zones d'ombres" qui plantent toujours sur le rôle de certains protagonistes des attentats de Paris.
Au total, "nous avons 13 suspects, cinq détenus en Belgique, sept en France, un en Turquie", a dit le procureur de Paris François Molins vendredi. En dépit des zones d'ombres, "on a un dossier suffisamment avancé pour expliquer qui est allé en Syrie et expliquer les conditions de retour des djihadistes en Europe en 2015, des éléments très précis sur la logistique."
Seul survivant du commando, Salah Abdeslam a été arrêté en Belgique en 2016 et transféré en France où il a été mis en examen, notamment pour "participation à une association de malfaiteurs terroriste en vue de la préparation d’un ou plusieurs crimes d’atteinte aux personnes".
Détenu sous haute surveillance à Fleury-Mérogis (Essonne), il est considéré au minimum comme le logisticien des attaques. Il a jusqu'à présent toujours refusé de communiquer avec la justice. Face aux craintes d'une tentative de suicide, ses conditions de détention ont été assouplies.
"Notre obsession évidemment c'est qu'il puisse être présenté à son procès, c'est cela que nous voulions sauver à tout prix", a indiqué la ministre de la Justice Nicole Belloubet mercredi sur LCI.
La date de son procès n'a pas encore été fixée. Les juges espèrent clôturer l'ensemble du dossier au printemps 2019.
TERRORISME DE "PROXIMITÉ"
Depuis 2015, les attaques coordonnées de type commando ont cédé la place à des attaques dites "low-cost" et à un "terrorisme de proximité", selon l'expression du procureur de Paris François Molins, commis par des personnes isolées.
"La menace terroriste, en deux ans, a opéré des mutations profondes", a noté Emmanuel Macron lors de son discours aux forces de sécurité le 18 octobre. "Cette menace est de plus en plus endogène (...) et nous devons ce faisant adapter notre propre organisation et nos propres réactions."
Face à une "menace qui peut surgir à tout moment, sous les traits de n’importe quel visage", il faut s'assurer "que ne subsiste aucun angle mort", a ajouté le chef de l'Etat, notamment grâce au centre national de contre-terrorisme (CNCT) mis en place cet été et placé sous son autorité directe.
Selon Emmanuel Macron, "le niveau de risque qui est le nôtre fait que nos concitoyens ne tolèrent plus le moindre dysfonctionnement".
JUSTICE MENACÉE DE THROMBOSE
En vigueur sans interruption depuis deux ans, l'état d'urgence déclaré au soir des attentats et prolongé à six reprises a été levé le 1er novembre pour être remplacé par une loi antiterroriste.
Ce texte, qui inscrit dans le droit commun des mesures de l'état d'urgence, suscite des réserves chez les défenseurs des libertés individuelles et des droits de l'homme qui pointent une loi "liberticide" et de possibles dérives.
Les contrôles aux frontières nationales, rétablis après les attentats, ont eux été prolongés début novembre de six mois supplémentaires en raison de la menace "persistante".
Conséquence de la vague d'attentats et du niveau de menace, la justice antiterroriste française s'est retrouvée confrontée à une inflation de dossiers liés à l'islamisme radical et menacée de saturation.
Au 9 octobre 2017, la justice recensait ainsi 621 saisines de la section antiterroriste du parquet de Paris pour faits liés à l'islamisme radical depuis 2012, dont 452 dossiers en cours.
LE COMBAT CONTRE L'EI "PAS TERMINE"
Deux jours après le 13 novembre, des avions français larguaient 20 bombes sur Rakka, la capitale auto-proclamée de l'EI en Syrie d'où les attentats auraient été fomentés.
Deux ans de bombardements plus tard et après cinq mois d'offensive, la ville a été totalement reprise le 17 octobre dernier par les forces démocratiques syriennes (FDS), alliance de combattants arabes et kurdes soutenue par les Etats-Unis.
"Presque deux ans jour pour jour après les attentats, nous avons gagné", a dit Emmanuel Macron jeudi. "Mais il n’en sera pas terminé pour autant de ce combat", laissant la porte ouverte à de nouveaux théâtres d'opérations [L8N1NF6SZ].
La reprise de Rakka a infligé un nouveau revers à l'EI qui, à son apogée début 2015, contrôlait un tiers de l'Irak et de la Syrie. Outre Rakka, le groupe a cédé depuis les villes de Daïr az Zour en Syrie et Tal Afar et Haouidja en Irak.
Le groupe conserve toutefois un pouvoir de nuisance et revendique régulièrement des attaques, comme celle de Magnanville, de Nice et de Saint-Etienne du Rouvray en 2016, ou plus récemment l'attaque de Marseille.
PRÉVENTION DE LA RADICALISATION
Autre nerf de la guerre avec le renseignement, la prévention de la radicalisation commence à se mettre en place. Un comité interministériel doit se tenir en décembre pour arrêter un nouveau plan national.
Les collectivités territoriales, les associations et les services éducatifs vont être mobilisés pour identifier les comportements les plus à risque et les dérives, en coopération étroite avec les magistrats.
Ouvert en 2016, l'unique centre de "déradicalisation" de France a lui été fermé en juillet 2017, l'expérience ne se révélant pas "concluante", selon le ministère de la Justice.
En août, le gouvernement a fait savoir qu'il envisageait de mobiliser les hôpitaux psychiatriques pour repérer les personnes susceptibles de passer à l'acte.
(Edité par Yves Clarisse)