Dans le collimateur de la justice depuis plus de trois ans, Ryanair comparaît jeudi et vendredi en correctionnelle à Aix-en-Provence pour avoir enfreint le droit social français sur sa base de l'aéroport de Marseille, où la compagnie irlandaise à bas coûts affiche une santé plus éclatante que jamais.
Parmi les charges retenues: travail dissimulé, entrave au fonctionnement du comité d'entreprise, à celui des délégués du personnel, à l'exercice du droit syndical, emploi illicite de personnels navigants (non affiliés au régime complémentaire obligatoire de retraite).
A l'origine de l'affaire, qui suscita un fracassant faux départ de Ryanair de Marseille en janvier 2011, des plaintes de syndicats de personnels navigants contre les pratiques de la compagnie à Marignane.
Début 2007, la compagnie y a basé quatre avions (qui dorment là chaque nuit) et 127 salariés, mais n'a déclaré cette activité ni au registre du commerce ni à l'Urssaf. Pas plus qu'elle ne remplit de déclaration fiscale en France ni n'applique à ses employés la législation française du travail.
Le droit irlandais prévaut, argue Ryanair. La société nie d'ailleurs avoir une "base d'exploitation", ses salariés prenant selon elle leurs consignes au siège, à Dublin, pour une activité marseillaise temporaire, et volant dans des avions irlandais.
La justice estime à l'inverse que la compagnie mène une activité pérenne, et même croissante, depuis cette base. L'enquête des gendarmes de l'Office central de lutte contre le travail illégal (OCLTI) montre ainsi que Ryanair dispose de 300 m2 de locaux, avec des lignes fixes, 95 casiers, des sous-traitants et deux cadres reconnus comme supérieurs hiérarchiques. Une surveillance des parkings révèle aussi que les salariés vivent dans la région.
Pour l'accusation, c'est le droit français qui s'applique aux personnels navigants des compagnies installées en France, comme le stipule un décret de 2006, transposant des réglements européens.
Mise en examen fin 2010, Ryanair avait d'emblée répliqué en fermant sa base, son patron descendant à Marseille dénoncer haut et fort un acte judiciaire contraire au droit européen et aux intérêts économiques locaux. Michael O'Leary avait reçu le soutien d'élus, le maire UMP de Marseille Jean-Claude Gaudin en tête fustigeant le "comportement irresponsable des syndicats".
Trois semaines plus tard, la compagnie, qui se veut "la seule ultra low-cost en Europe", rouvrait la plupart des lignes en affectant à Marignane deux avions pour la saison estivale, et non toute l'année, contournant ainsi la loi. Son activité sur l'aéroport ne cesse depuis de prospérer: Ryanair vient d'annoncer 5 nouvelles lignes en 2013 en plus des 32 existantes.
A nouveau de passage le 16 janvier, son médiatique patron affichait sa sérénité à l'approche du procès: "Nous pensons qu'il est clair que le droit européen prévaut", a-t-il dit à l'AFP. "Si nous perdons, nous en appellerons à la cour de justice de l'Union européenne, devant laquelle nous pensons gagner car nous appliquons le droit européen".
Un argument que réfutent les plaignants: "Ryanair dit +moi le droit européen, et vous Français rétrogrades et anti-européens+, mais pas du tout!", insiste Me Claire Hocquet, avocate du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL), l'une des nombreuses parties civiles dont Pôle Emploi ou encore un pilote licencié.
"Nous revendiquons simplement l'application d'une règle européenne, qui désigne la Sécurité sociale française pour les salariés basés à Marseille", dit-elle. "Ryanair ne cotise pas à la caisse de retraite complémentaire: c'est un problème de dumping social par rapport aux salariés, et de concurrence déloyale par rapport aux autres compagnies".
L'avocate relève chez d'autres low-cost "une tendance à la régularisation. Mais Ryanair est le seul qui n'a absolument rien fait encore".
Depuis 2010, plusieurs compagnies dont easyJet, CityJet (filiale d'Air France) et l'Espagnole Vueling ont été condamnées en France pour des faits similaires.