L'Allemagne s'est défendue mercredi de faire cavalier seul en bannissant certaines pratiques boursières spéculatives, et a argué que de telles mesures étaient nécessaires à ses yeux pour "restaurer la confiance" sur les marchés.
L'autorité allemande des marchés financiers (BaFin) avait annoncé le 18 mai de manière inattendue la suspension immédiate jusqu'en mars 2011 des ventes à découvert à nu portant sur les emprunts d'Etats de la zone euro, sur certains types de CDS (Credit default swaps, soit des couvertures contre le risque de faillite d'un pays ou d'une entreprise) et sur les actions de 10 institutions financières (banques et assurances).
La mesure avait semé le trouble sur les marchés boursiers et plusieurs dirigeants politiques en Europe, dont la ministre française des Finances Christine Lagarde ou le président de l'Eurogroupe Jean-Claude Juncker, avaient déploré une décision unilatérale contraire à une bonne coordination économique européenne.
Berlin planche aujourd'hui sur une loi qui irait plus loin: il veut étendre l'interdiction des ventes à découvert à nu à toutes les actions et bannir aussi les produits dérivés sur l'euro non destinés à s'assurer. Un document en ce sens du ministère des Finances a été divulgué mardi. Le texte pourrait être adopté rapidement en conseil des ministres.
Berlin récuse toutefois l'idée de faire cavalier seul. "Je ne trouve pas qu'on ait agi de manière non coordonnée", a dit mercredi le porte-parole du ministère des Finances Michael Offer.
Cette action s'inscrit dans le cadre de "mesures décidées au sein de l'Eurogroupe pour assurer la stabilité dans la zone euro", et c'est "un pas que nous pouvons entreprendre au niveau national dans le cadre de la régulation des marchés financiers", a-t-il argué.
Berlin a d'ailleurs fait part de ses projets "dès le début de l'année" et "cela avait été bien reçu", a assuré le porte-parole. Le gouvernement a simplement décidé d'avancer son calendrier en raison de "certaines exagérations sur le marché liées à la crise grecque et la crise de l'euro", a dit M. Offer.
Objectif: "envoyer un signal clair aux marchés que nous allons agir là où nous le pouvons sur une base nationale pour lutter contre les spéculations exagérées et la spéculation en général, afin de calmer les marchés et restaurer la confiance".
La vente à découvert, très prisée par les fonds spéculatifs, consiste à parier sur une hausse ou une baisse d'un titre et à le vendre avant d'en être le propriétaire réel, pour empocher la différence. Quand elle a lieu "à nu", l'investisseur vend à terme un actif sans l'avoir emprunté auparavant ou s’être assuré de sa disponibilité.
Cette pratique boursière, qui peut renforcer les mouvements de cours excessifs sur des marchés très volatils, avait été suspendue ou limitée sur les grandes places financières du monde pendant la crise financière en 2008, y compris en France ou en Allemagne. A nu, elle est encore interdite en Italie, par exemple.
Pour le politologue Ralf Jaksch, la hâte du gouvernement d'Angela Merkel à légiférer sur ce dossier est une concession à ceux qui, libéraux ou conservateurs, ont dû adopter "avec les plus forts maux de ventre" les plans de sauvetage de la Grèce et de la zone euro. Il s'agit "uniquement de politique intérieure", selon lui.
Les conséquences seront "nulles pour l'Europe" car les autres pays ne suivront pas, estime-t-il.
Un avis partagé par Alexander Koch, économiste d'Unicredit: "l'Allemagne est seule" et les ventes à découvert ont d'ailleurs lieu massivement à Londres et à New York, fait-il remarquer.
Pour M. Jaksch, il était "normal" que d'autres pays réagissent avec étonnement "mais la question, c'est de savoir comment Berlin communique".