Prise dans la tourmente des attaques de Berlin, Paris et Washington, la Suisse assiste à contre-coeur à la déliquescence de son sacro-saint secret bancaire. Mais les banquiers helvétiques ne veulent pas croire à la fin d'une ère de gloire et lorgnent avec gourmandise sur l'Asie.
"Le secret bancaire est aujourd'hui remis en cause", reconnaît le secrétaire général de l'Association des banquiers privés suisses, Michel Dérobert.
De fait, sous la pression de ses voisins, Berne s'est résolue en mars 2009 à assouplir cette spécificité qui a rempli les coffres de ses banques depuis les années 30.
La nouvelle disposition, qui permettra d'obtenir des informations sur des contribuables soupçonnés d'évasion fiscale, a été incluse dans la vingtaine de nouveaux accords de double imposition signés avec les partenaires suisses, et en cours de ratification.
La concession était énorme pour la Suisse. Mais elle n'a semble-t-il pas suffi. Et les offensives se sont poursuivies sous la forme du scandale UBS aux Etats-Unis où le fleuron bancaire est accusé d'avoir aidé des clients américains à contourner leur fisc, des données volées dans la filiale suisse de la banque HSBC et récupérés par la France, et désormais celles qu'un informateur est en train de vendre en Allemagne.
L'objectif pour ces pays est, selon les analystes, de faire pression sur leurs contribuables pour inciter les fraudeurs à se dénoncer. Et au-delà, tenter de faire sauter le dernier maillon du secret bancaire helvétique, l'échange automatique d'informations.
Cette option paraissait encore impensable il y a quelques mois pour la grande majorité de la population suisse, très attachée "au respect de la sphère privée".
Mais le ministre des Finances de la Confédération Hans-Rudolf Merz a ouvert mercredi "la boîte de Pandore" en évoquant une telle possibilité.
Quelqu'en soit l'évolution, les récentes affaires ont entamé un des fondements de la place financière suisse, la confiance, et "envoyé un signal clair aux clients européens que le secret bancaire n'est plus intangible", souligne le directeur de l'Institut banque et finance de Lausanne, Eric Jondeau.
Les pertes qui en découlent pour la troisième place mondiale en terme de gestion de fortune ne devraient toutefois pas atteindre plus de 5 milliards de francs suisses en 2009, selon M. Jondeau.
"Une goutte d'eau dans un océan", explique l'expert, si l'on considère que la Suisse gérait 2.000 milliards d'actifs étrangers en 2008, selon la Banque nationale suisse (BNS).
Les banquiers helvétiques se veulent d'autant plus confiants, qu'ils ont désormais le regard tourné vers l'Est.
"Le gros potentiel de l'avenir, c'est la Russie, l'Asie centrale, le Moyen-Orient et surtout l'Asie", assure ainsi le fiscaliste Philippe Kenel.
Eric Jondeau confirme: "les grandes fortunes se déplacent des Etats-Unis et l'Europe vers l'Asie, avec en tête l'Inde et la Chine".
La troisième banque de la Confédération, Julius Baer, ne s'en cache d'ailleurs pas. Elle a annoncé vendredi son intention de s'étendre en Asie, "étudier" l'entrée en Chine et élargir ses activités en Amérique latine et au Moyen-Orient.
M. Jondeau met toutefois en garde contre l'origine de ces fonds difficile à contrôler. Mais, assure M. Dérobert, ces nouveaux clients ne sont pas friands de secret bancaire.
"L'avantage de la Suisse, c'est le respect de l'Etat de droit, la stabilité des institutions et le fait que l'on ne peut pas changer les choses sans donner la possibilité d'un référendum... New-York ne l'a pas, pas plus que Singapour, Hong-Kong ou la plupart des Européens", assène-t-il, optimiste.